Nantes
"Si un moratoire sur l’éolien était imposé, les conséquences sur l’emploi et l’économie seraient désastreuses"
Interview Nantes # Production et distribution d'énergie # Investissement industriel

Matthieu Blandin directeur de la stratégie pour l’éolien offshore chez Valemo et Akrocean "Si un moratoire sur l’éolien était imposé, les conséquences sur l’emploi et l’économie seraient désastreuses"

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L’annonce d’un moratoire sur les projets éoliens de la part du Rassemblement national fait trembler cette filière industrielle dans les Pays de la Loire. Les acteurs des énergies marines renouvelables se rassembleront justement à l’occasion du salon Seanergy, qui se tient à Nantes les 26 et 27 juin, avec l’ambition de faire entendre leur voix.

Matthieu Blandin, directeur de la stratégie de l’éolien offshore pour Valemo et Akrocean — Photo : David Pouilloux

Matthieu Blandin, vous êtes directeur de la stratégie pour l’éolien offshore chez Valemo et Akrocean, à Nantes. Quel est votre parcours et votre implication dans le secteur éolien ?

Depuis plus de 20 ans, je me consacre aux énergies renouvelables. J’ai commencé par l’éolien terrestre et, depuis une dizaine d’années, je travaille dans le domaine de l’éolien offshore. En plus de mes responsabilités chez Valemo et Akrocean, deux industriels de ce secteur, je participe activement à diverses commissions nationales du Syndicat des Énergies Renouvelables et de l’association France Renouvelables. Ces engagements me permettent de contribuer à la promotion et au développement des énergies renouvelables en France.

Que fait Valemo sur le plan industriel ?

Matthieu Blandin : Valemo est une filiale de Valorem, une entreprise de taille intermédiaire française dédiée aux énergies renouvelables dont le siège est à Bordeaux. Valorem compte environ 450 salariés. En tant que filiale spécialisée dans l’exploitation et la maintenance, Valemo emploie 135 personnes. Nous fournissons des services non seulement à Valorem, mais aussi à d’autres grands acteurs industriels comme les Chantiers de l’Atlantique et General Electric. Notre bureau de Nantes est un véritable centre névralgique pour l’éolien offshore, qui profite pleinement de l’écosystème dynamique de la région, avec le parc éolien de Saint-Nazaire et celui d’Yeu Noirmoutier.

Récemment, le Rassemblement national a annoncé, par la voix de Jordan Bardella, son intention de lancer un moratoire sur l’éolien, incluant l’éolien offshore. Que pensez-vous de ce positionnement en tant qu’industriel et membre de syndicats ?

Ce positionnement est complètement absurde. La filière éolienne en France représente actuellement environ 30 000 emplois, dont 18 % dans l’exploitation et la maintenance. Si un moratoire était imposé, les conséquences sur l’emploi et l’économie seraient désastreuses. L’éolien offshore, à lui seul, est censé atteindre 20 000 emplois d’ici à 2035. En outre, les parcs éoliens apportent des revenus fiscaux substantiels aux collectivités locales. Par exemple, le parc de Saint-Nazaire génère des millions d’euros chaque année pour les communes environnantes et les pêcheurs : 4,5 millions d’euros pour les 13 communes riveraines du parc de Saint-Nazaire et plus de 3,2 millions d’euros pour le Comité national des pêches. De plus, les énergies renouvelables sont très compétitives. Le coût de production de l’éolien en mer varie entre 45 et 100 euros par mégawattheure, tandis que le nouveau nucléaire coûte entre 110 et 130 euros par mégawattheure et nécessite beaucoup plus de temps pour être construit, en général 20 ans, contre une dizaine pour l’éolien offshore. Les énergies renouvelables sont les énergies du pouvoir d’achat.

Pourquoi, selon vous, le Rassemblement National prend-il cette position contre les énergies renouvelables ?

Le Rassemblement national base son discours sur les peurs et les craintes de la population, notamment en ce qui concerne le pouvoir d’achat. Ils soutiennent que l’énergie renouvelable n’est pas compétitive, ce qui est une fausse affirmation. Leur vision est simpliste et court-termiste, cherchant à exploiter les inquiétudes immédiates sans prendre en compte les avantages à long terme des énergies renouvelables, tant en termes économiques qu’environnementaux.

Comment répondez-vous aux critiques concernant l’esthétique et l’intégration de l’éolien dans le paysage ?

L’impact paysager est une critique récurrente des opposants à l’éolien. Cependant, il est important de noter que de nombreux éléments qui font partie de notre paysage, comme les châteaux d’eau, remplissent des fonctions essentielles et ne sont pas très esthétiques. Idem avec les autoroutes qui traversent nos campagnes ou les barres d’immeubles qui accueillent les populations. De plus, l’éolien offshore se développe de plus en plus loin des côtes, réduisant ainsi son impact visuel. Par ailleurs, en ce qui concerne l’éolien terrestre, nous utilisons le "repowering", qui consiste à remplacer les anciennes éoliennes par des modèles plus puissants et moins nombreux. Cela améliore non seulement l’efficacité mais aussi l’intégration paysagère.

Le parc éolien offshore de Saint-Nazaire couvre les besoins en électricité de 20 % des foyers de Loire-Atlantique — Photo : David Pouilloux

Comment la filière réagit-elle aux incertitudes politiques et économiques liées à ces annonces du Rassemblement national ?

La perspective d’un moratoire crée une grande incertitude, ce qui affecte directement les investissements et les financements nécessaires au développement de nouveaux projets. Les entreprises du secteur doivent emprunter pour investir, et cette incertitude rend les banques plus réticentes à accorder des prêts. Cela peut aussi ralentir les recrutements et affecter la motivation des employés, qui sont souvent attirés par ces métiers pour leurs valeurs et leur engagement dans la transition énergétique. Ces entreprises apprécient la stabilité et la vision à long terme. La France représente à elle seule 30 % de la capacité industrielle de ce secteur en Europe et environ 15 % des ambitions européennes de production d’électricité à partir de l’éolien offshore.

"L’éolien offshore offre une production stable et prévisible, ce qui est crucial pour la sécurité énergétique […] À long terme, cette source d’énergie contribuera à stabiliser les prix de l’électricité et à renforcer notre indépendance énergétique"

Ce long terme était incarné par le projet gouvernemental de construction de 50 parcs éoliens offshore en France d’ici à 2050. Ce projet est-il menacé par les annonces du Rassemblement national ?

Clairement oui. La France a un objectif très ambitieux pour l’éolien offshore. D’ici 2050, nous visons à atteindre une capacité installée de 45 gigawatts. Cela représente un effort considérable en termes de planification, de construction et de mise en service de nouveaux parcs éoliens en mer. Actuellement, les projets en cours et ceux à venir nécessitent une collaboration étroite entre les pouvoirs publics, les industriels, et les collectivités locales. Pour mettre cela en perspective, 45 gigawatts de capacité éolienne offshore pourraient couvrir environ 20 % de la consommation électrique nationale actuelle. Ce déploiement massif nécessitera la construction de centaines de turbines, des plateformes de maintenance et de nombreux autres équipements de soutien. Les investissements nécessaires sont énormes, et pour cela, nous devons garantir la confiance des investisseurs et des banques. L’incertitude politique, comme les annonces de moratoire sur l’éolien, peut sérieusement compromettre ces investissements et les emplois portés par ce pan de notre économie.

Comment voyez-vous le rôle des énergies renouvelables, et en particulier de l’éolien offshore, dans le mix énergétique français à long terme ?

Les énergies renouvelables, et particulièrement l’éolien offshore, joueront un rôle central dans le mix énergétique français à long terme. La transition énergétique est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques et réduire notre dépendance aux énergies fossiles que nous devons acheter à des pays qui ne partagent pas nos valeurs démocratiques. L’éolien offshore offre une production stable et prévisible, ce qui est crucial pour la sécurité énergétique. De plus, les coûts de production de l’éolien offshore ont considérablement baissé ces dernières années grâce aux avancées technologiques et aux économies d’échelle. À long terme, cette source d’énergie contribuera à stabiliser les prix de l’électricité et à renforcer notre indépendance énergétique. En investissant dès maintenant dans l’éolien offshore, nous préparons un avenir énergétique durable et compétitif pour la France, et fournirons l’électricité décarbonée nécessaire aussi bien à nos transports qu’à nos habitations et à nos entreprises.

La filière prévoit-elle de prendre des actions concrètes pour contrer ce positionnement qui met en danger tout un secteur de notre économie ?

Absolument, la filière ne reste pas passive. Signée par une quarantaine d'entreprises et d'acteurs du secteur, une tribune sera publiée par le Syndicat des Énergies Renouvelables et France Renouvelables pour sensibiliser l’opinion publique et les électeurs aux conséquences d’un tel moratoire. Le silence des patrons m’étonne et les salariés devraient eux aussi se demander ce que cela aura comme impact pour eux. Nous utiliserons également des événements importants, comme le salon international Seanergy à Nantes, qui démarre demain 26 juin, pour faire entendre notre voix et démontrer l’importance cruciale des énergies renouvelables pour l’avenir énergétique de la France.

Nantes # Production et distribution d'énergie # Investissement industriel # Transition énergétique