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Pourquoi Microsoft a choisi un petit village alsacien pour implanter son futur data center high-tech
Enquête Alsace # Hébergement de données # Investissement

Pourquoi Microsoft a choisi un petit village alsacien pour implanter son futur data center high-tech

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800 habitants et un projet de data center à plus de 2 milliards d’euros… Paisible village de la vallée du Rhin, à quelques kilomètres de Mulhouse, Petit-Landau a été propulsé sur la carte de France des sites majeurs pour le développement numérique du pays, à la faveur de la 7e édition du sommet Choose France. Mais pourquoi Microsoft a-t-il décidé d’investir en Alsace ?

Emmanuel Macron et Brad Smith, président de Microsoft, au moment de l’annonce de l’investissement de quatre milliards d’euros par le groupe informatique américain — Photo : Microsoft

Pour la petite histoire, c’est par le biais d’un papier glissé dans leur boîte aux lettres que les 800 habitants de Petit-Landau ont appris la future implantation de Microsoft sur leur commune, au lendemain de l’annonce formulée en grande pompe dans le cadre de la 7e édition du sommet "Choose France" à Paris, qui révélait 56 projets d’investissements étrangers sur l’ensemble du territoire national pour un montant record de 15 milliards d’euros.

Jusque-là, Carole Talleux-Esslinger, maire du village haut-rhinois dont l’activité économique repose sur la présence d’une poignée d’agriculteurs, d’un garagiste et d’une esthéticienne, avait gardé le secret sur l’arrivée d’un des GAFAM avec un data center sur ses terres. "Un dossier très confidentiel" qui lui a d’abord paru "démentiel et presque surnaturel" avant que cette institutrice de métier ne se l’approprie avec une poignée d’élus de Mulhouse Alsace Agglomération (m2A) dont Petit-Landau fait partie avec 38 autres communes haut-rhinoises.

Le plus gros investissement de Microsoft en France en 40 ans

En compagnie de Fabien Jordan, président de m2A, Carole Talleux-Esslinger, était aux premières loges, lundi 13 mai, lorsque Brad Smith, président de Microsoft, ouvrait le bal des annonces à Versailles, devant 180 autres patrons étrangers. "C’est un honneur pour moi d’annoncer aujourd’hui le plus gros investissement de Microsoft en France au cours de nos 41 ans d’histoire", lançait un Brad Smith visiblement très complice avec le président de la République, Emmanuel Macron.

L’investissement massif de Microsoft en France servira pour plus deux milliards d’euros à la construction d’un centre de donnés nouvelle génération à Petit-Landau appelé à devenir opérationnel dans quatre ans — Photo : Adista

"C’est vraiment un jour important. Nous voulons dépenser 4 milliards d’euros pour construire ici en France une infrastructure d’intelligence artificielle, de data center et de cloud qui fera office de leader mondial. Nous allons apporter en France 25 000 processeurs graphiques les plus avancés au monde. Nous allons développer la capacité de calcul ici en France."

De la place pour de nouveaux data centers

Le président de Microsoft vient discrètement de suggérer au président de la République que le pays reste sous-doté en infrastructures permettant le développement des nouveaux chantiers de l’informatique. Dans un monde basculant à marche forcée vers la numérisation et l’intelligence artificielle, la France ne compte en effet que 264 data centers, dont un tiers est localisé en Île-de-France. Un chiffre qui place le pays à la huitième place des pays les mieux équipés. Loin devant, les États-Unis comptaient 2 700 de ces centres de données à fin 2022, devant l’Allemagne (487), le Royaume-Uni (456) et la Chine (443).

Bienvenue dans la compétition des données

Du côté de l’association française rassemblant les professionnels du secteur, France Datacenter, le cumul de l’investissement dans les centres de données était évalué à un milliard d’euros par an. Un chiffre que les annonces du sommet Choose France vont gonfler : le californien Equinix va ainsi également injecter 630 millions d’euros sur cinq ans, en plus des 750 millions d’euros déjà promis en 2022. De son côté, le japonais Telehouse a évoqué un investissement d’un milliard d’euros pour construire trois nouveaux data centers dans l’Hexagone.

Soucieuse de maîtriser sa communication, la firme de Redmond n’a pas précisé l’échelle de temps sur laquelle s’étalait son investissement de 4 milliards. Reste que le géant mondial de l’informatique va repositionner la France sur la carte avec "ce très gros investissement en data center à côté de Mulhouse, dans la commune de Petit-Landau", précisait Emmanuel Macron, en concédant que cet équipement devait remettre le pays dans la "compétition des données".

"Pour un territoire, le fait d’avoir Microsoft sur sa carte de visite, ce n’est quand même pas rien"

Les premiers contacts des élus alsaciens avec Microsoft remontent à près de deux ans. Même si certains acteurs proches du dossier laissent entendre qu’il a essentiellement été piloté par l’Élysée et quelques membres du gouvernement comme Olivier Becht, ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité et des Français de l’étranger sous Élisabeth Borne, et conseiller communautaire de m2A.

L’investissement massif de Microsoft en France servira pour plus deux milliards d’euros à la construction d’un centre de donnés nouvelle génération à Petit-Landau appelé à devenir opérationnel dans quatre ans. Cette implantation sur un terrain de 37 hectares, appartenant aux Ports de Mulhouse-Rhin, devrait générer à terme la création d’environ 200 emplois et mobiliser un millier de personnes durant sa construction.

"Pour un territoire, le fait d’avoir Microsoft sur sa carte de visite, ce n’est quand même pas rien", souligne Laurent Riche, vice-président de m2A en charge du développement économique. D’autant que la collectivité va également accueillir à Wittelsheim (Haut-Rhin), non loin de l’usine Stellantis, la gigafactory Blue Solutions, filiale du groupe Bolloré, qui produira "les batteries solides du futur" avec au moins 1 500 emplois directs à la clé.

Répondre à la demande française en matière de cloud et d’IA

"Vous pouvez avoir le meilleur projet, s’il n’y a pas l’appropriation et l’acceptabilité du projet par la population, ça ne fonctionnera pas", indique Fabian Jordan. Le président de m2A compte sur la mise en place de groupes de travail afin de faire atterrir en douceur le projet américain sur ses terres.

Fabian Jordan - Président de Mulhouse Alsace Agglomération - m2A — Photo : Catherine Kohler

En Alsace, Microsoft va se doter d’un site pour héberger un centre de données de nouvelle génération, dans le but de "répondre à la demande croissante des organisations françaises privées et publiques, qui souhaitent tirer parti des technologies de cloud et d’IA les plus récentes, et notamment des capacités de puissance de calcul requises pour l’IA".

La firme américaine intéressée par l’énergie décarbonée

Concrètement, comme tous les acteurs du cloud et de l’IA, si Microsoft veut opérer en Europe, il faut respecter le Règlement sur la protection des données, le RGPD, imposant de fait des data centers tournant sur le sol européen. Mais un des autres arguments pour justifier le choix de la France, c’est son "énergie décarbonée", produite grâce au parc de centrales nucléaires. Car les data centers sont très gourmands en énergie : les données de l’Ademe montrent que le numérique rejette 4 % du total des émissions du pays et que les centres de données pèsent un quart de ce total.

Une zone frontalière attractive

Pour les élus, la géographie de Petit-Landau, à proximité de l’Allemagne et de la Suisse, la capacité énergétique qu'offre le territoire, notamment par son potentiel de production hydroélectrique via des microcentrales qui équipent certaines écluses du canal du Rhône au Rhin tout proche, ainsi que la stabilité du terrain, auraient séduit les dirigeants de Microsoft. De plus, l’Alsace est bien dotée en termes d’infrastructures en fibre optique haut débit.

Microsoft veut s’engager dans les énergies renouvelables

Pour éviter d’afficher un bilan carbone désastreux, la firme américaine s’est engagée à investir dans les énergies renouvelables. "L’engagement de Microsoft en matière de développement durable implique une couverture à 100 % en énergies renouvelables pour les opérations de l’entreprise, y compris ses centres de données, d’ici 2025", précise la communication de Microsoft. Un engagement qui s’étend à l’eau et aux déchets. Justement, le refroidissement des serveurs du futur data center se contenterait de systèmes de réfrigération, "sans avoir besoin de puiser dans la nappe phréatique", selon Fabien Jordan.

Une brique pour étoffer l’écosystème numérique alsacien

Le reste du montant de l’investissement annoncé par Microsoft en France servira aussi à l’extension des sites existants en région parisienne et à Marseille, à l’accélération de 2 500 start-up françaises et à la formation d’un million de personnes (demandeurs d’emploi, étudiants, PME et publics professionnels) à l’intelligence artificielle d’ici fin 2027.

Là encore, Mulhouse compte tirer son épingle du jeu via l’école 42 et l’école d’informatique Epitech, située au KM0, lieu d'innovation dédié à la transformation digitale de l'industrie qui regroupe déjà plusieurs start-up. "On est en train de candidater sur l’appel à projets de cyber-campus de la région Grand Est, précise Laurent Riche. L’arrivée de Microsoft sur notre territoire tombe à point nommé pour compléter notre écosystème numérique".

L’IA à "l’âge de raison" et des investissements records

"Nous sommes à l’an 2 de l’intelligence artificielle générative. L’an 2, c’est l’âge de raison", a indiqué Corine de Bilbao, présidente de Microsoft France depuis le siège parisien de la multinationale implantée en France depuis 1983, qui compte aujourd’hui 2 100 collaborateurs. L’âge de raison, mais aussi l’âge des investissements massifs. À l’échelle de la planète, les 4 milliards de dollars lâchés par Microsoft en France sembleraient presque raisonnables. Avant Choose France, le géant de l’informatique aux 62 milliards de dollars de chiffre d’affaires avait en effet déjà investi, entre janvier et mars, 14 milliards de dollars pour construire l’infrastructure informatique nécessaire pour supporter le développement de l’intelligence artificielle. Un chiffre à additionner avec les 13 milliards de dollars déjà injectés dans OpenAI, la start-up développant le modèle de langage ChatGPT.

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