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Les vignerons d’Occitanie s’arment face à la crise climatique
Enquête Occitanie # Agriculture # Écosystème et Territoire

Les vignerons d’Occitanie s’arment face à la crise climatique

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L’Occitanie, plus grand bassin viticole au monde, vacille sous l’effet du réchauffement climatique. Accompagnés par les chercheurs et les industriels du secteur, les vignerons sont en quête de solutions adaptatives pour préserver leur terroir.

L'Institut Agro, l'Inrae et l'IFV sont des acteurs en pointe dans l'innovation pour la vigne — Photo : Institut Agro

Si rien n’est fait, le bassin viticole d’Occitanie (263 000 ha, 100 000 professionnels) ressemblera, selon des projections de Météo France, au sud de l’Espagne d’ici 2050. Depuis deux ans, des départements comme les Pyrénées-Orientales, l’Aude ou le Gers en prennent le chemin. Les températures atteignent des niveaux records, le déficit pluviométrique se creuse, et la sécheresse des sols s’aggrave. L’impact sur le vignoble régional est énorme, avec des pertes de volumes observées dans toutes les catégories (AOP, IGP). "Le stress hydrique, qui affecte la capacité des sols à se recharger, produit des baies plus petites. Le rendement à l’hectare baisse de 10 à 15 % dans les zones de plaine. Par ailleurs, la température pilotant divers processus biochimiques du raisin, le taux d’alcool augmente fortement : en quatre ans, il est passé à 14° en moyenne, alors que la demande évolue vers des vins plus frais et moins chargés", analyse Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), présent à Montpellier.

La voie de l’innovation

Entre 2012 et 2022, l’Inrae a porté le programme "Laccave" destiné à explorer les moyens d’action possibles. "On peut imaginer planter de la vigne en Bretagne ou dans d’autres pays, mais ce serait trop bouleversant pour nos terroirs historiques. Si l’on veut rester dans nos vignobles, il faudra innover. Mais comment ? Il y a une voie hyper technologique, avec le risque d’artificialisation du métier. Il y a aussi une voie co-adaptative, où l’agriculteur s’engage dans des tests de nouveaux cépages ou de nouvelles pratiques en termes de taille, de gestion du sol, d’irrigation de précision, etc.", poursuit le chercheur.

Priorité à l’innovation variétale

L’une des solutions privilégiées par la profession porte sur le matériel végétal lui-même. L’IFV (Institut français de la vigne et du vin) mène, aux côtés de l’Inrae, de nombreux programmes de création variétale visant à obtenir de nouvelles variétés résistantes, tout en gardant leur typicité régionale. Sur cette base, le réseau OsCar, né en 2017, est un dispositif incitant les vignerons à tester (100 m par hectare) les cépages résistants au mildiou et autres maladies pour identifier ceux qui résistent aussi aux effets de la crise climatique. Union de coopératives audoises, les Vignobles Foncalieu (801 coopérateurs, CA 2022 : 61 M€) sont partenaires du programme.

De même, l’Inrae dispose d’une unité de recherche à Gruissan (Aude), dans le domaine de Pech Rouge (170 ha) : ce dernier accueille la plus vaste collection mondiale de cépages (8 500 variétés, issues de 50 pays). Les appellations peuvent y puiser, sous réserve d’autorisation, des espèces pour les introduire dans leur cahier des charges. Ainsi, le CIVL (Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc) a signé un protocole avec l’Inao (Institut national des appellations d’origine) autorisant l’appellation Languedoc à introduire de nouvelles variétés. "Il s’agit de cépages anciens, abandonnés au fil du temps, que nous réintroduisons dans nos parcelles. Ou bien de cépages issus de territoires du sud de l’Europe, comme la Sicile et la Grèce, où sévissent des climats encore plus rudes. Nous les testons pour vérifier qu’ils sont bien adaptés à la situation. Dans les deux cas, le CIVL se positionne afin de sélectionner les points stratégiques pour un vignoble plus résilient à l’avenir", explique Jean-Benoît Cavalier, président du nouveau pôle technique du CIVL, créé en avril.

Agir à court terme

Problème : un nouveau cépage nécessite de 15 à 20 ans pour se développer. L’adaptation au réchauffement climatique passe donc aussi par des moyens d’action à court terme. "Il faut revoir les systèmes de conduite du vignoble pour réduire l’usage de l’eau. On peut, par exemple, agir sur l’ombrage avec des filets ou des panneaux photovoltaïques, qui vont limiter l’évapotranspiration de la plante", cite Eric Serrano, directeur régional Sud-Ouest de l’IFV.

Ainsi, la société lyonnaise Sun’Agri (50 salariés), qui crée des solutions agrivoltaïques, dispose d’une antenne à Montpellier (15 salariés) pour mieux adresser les vignerons locaux : elle affiche plus de 50 projets en cours en Occitanie. "Plus que la protection climatique, nous rendons un vrai service agricole. Nous faisons du sur-mesure en fonction de ce que l’exploitant veut travailler sur le plan œnologique", souligne Cécile Magherini, DG déléguée de Sun’Agri.

Les industriels de la filière se mobilisent

Sur le plan régional, les offreurs de solutions sont réunis au sein du cluster d’entreprises Vinseo (110 membres, 4 000 emplois, CA cumulé : 1,5 Md€). L’organisation, qui veut initier une nouvelle phase de développement et d’innovation au service de la vigne, publiera à l’automne une étude prospective : elle donnera au monde viticole la vision des industriels en fonction de divers scenarii climatiques. "Aucun de nos adhérents n’ignore les enjeux du bilan carbone et du réchauffement. Mais les choses s’accélèrent. La crise climatique oblige les viticulteurs à adapter leurs pratiques culturales encore plus vite qu’ils ne le faisaient par le passé, quasiment d’une année sur l’autre. C’est un défi pour un fournisseur qui doit livrer un produit fini", commente Dominique Tourneix, président de Vinseo.

L’apport du numérique

Dans le panel des solutions proposées, le numérique trouve aussi sa place. Née à Dijon puis relocalisée à Montpellier, la start-up FoodPilot (15 salariés) a créé un outil mesurant tous les indicateurs de performance d’une entreprise agricole afin de réduire l’impact environnemental des produits alimentaires. Sous le nom de Wine Pilot, elle a décliné sa plateforme pour le Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), et vient de signer avec l’Interprofession des vins du Sud-Ouest (IVSO), la grande organisation d’Occitanie Ouest. "Ces produits permettent de piloter la décarbonation, pas la consommation d’eau. Mais notre outil est évolutif et le module sur l’eau est disponible, facilement intégrable à la demande du client. En affichant son score environnemental, le vin sera un produit mieux-disant pour le consommateur", précise Frédéric Volle, cofondateur de FoodPilot. Le groupe audois Gérard Bertrand (7 châteaux et domaines, CA 2022 : 151 M€) l’intègre déjà dans son plan eau.

Les sols, un enjeu crucial

En dehors de l’adaptation du végétal et des pratiques existe un dernier grand levier d’action : la régénération des sols. Plus grand acteur indépendant du secteur en Europe, la société audoise Laboratoires Dubernet (80 salariés) développe de nouveaux services autour de l’agro-œnologie. "Nous créons des outils innovants pour mesurer les données du sol et lui redonner le statut d’organisme vivant. Plus le taux de micro-organismes est élevé, plus sa capacité à séquestrer le carbone s’améliore. Car la détérioration du sol augmente le réchauffement : en 20 ans, le vignoble languedocien a perdu 1 % de matière organique, libérant 24 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère", évalue le président Matthieu Durbernet. Le laboratoire vient de lancer Terra Mea (10 salariés), une start-up chargée d’exploiter ce savoir-faire en France et dans le monde. Elle travaille déjà "avec les plus grandes caves et plus grands groupes, y compris en Champagne".

Rapprocher les expertises

Face au foisonnement de solutions, la recherche préconise d’autoriser l’intégration de ces innovations pour évaluer leur plus-value en conditions réelles. "Il n’y a pas de solution miracle. C’est la combinaison des solutions qui permettra de trouver une stratégie à l’échelle d’un exploitant, d’un bassin viticole ou même d’une filière. Mais il reste beaucoup de choses à évaluer. D’où l’importance d’être réactifs et hyperconnectés dans l’échange des connaissances", commente Jean-Marc Touzard.

En écho à cette analyse, l’Institut Agro Montpellier va investir 21 millions d’euros dans la construction d’un bâtiment de 6 000 m2 dédié à la vigne et au vin. Livrable dans quatre ans, cette unité permettra de rassembler les acteurs de la recherche, d’y associer ses 8 formations sur le sujet, tout en accueillant les offreurs de solutions. "La viticulture et l’œnologie sont des disciplines très différentes. La proximité sur un même lieu est un plus, surtout si nous donnons des outils optimisés à ces acteurs. De même, nous pourrons aller plus loin que notre dispositif d’incubation actuel, en accueillant les entreprises pour travailler avec elles sur de l’innovation", décrit la directrice Carole Sinfort. Elle précise que la chaire d’entreprises Vigne et Vin, créée par l’école en 2021 et qui associe de grands partenaires comme Moët Hennessy, AdVini, Agrosud ou le groupe ICV, trouvera aussi un ancrage matériel sur le site.

Des démonstrateurs à ciel ouvert

L’enjeu de l’évaluation des techniques est traité de multiples façons. En 2017, l’Institut Agro Montpellier a lancé le Mas Numérique, permettant de tester des solutions numériques dans une exploitation viticole, à Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault). Mais la démarche exploratoire prend de l’ampleur avec "Vitilience" : piloté par l’IFV sur le plan national, ce projet lancé en 2024 et doté de 7,5 millions d’euros va générer la création de 20 démonstrateurs de solutions dans les grands bassins viticoles français. L’IFV en assurera la coordination en Occitanie Ouest, tandis que la Chambre régionale d’agriculture se chargera de l’animation en Languedoc-Roussillon. "Chaque démonstrateur sera un catalyseur d’innovations venues d’Occitanie et d’ailleurs. Il s’agira de mettre en place non pas des expérimentations autour d’une seule technologie, mais bien des expérimentations multifactorielles afin d’en évaluer l’utilité à moyen terme pour l’agriculteur", annonce Eric Serrano. En lien avec les interprofessions, deux, voire quatre démonstrateurs de ce type verront le jour en Occitanie.

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