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Les madeleines au cœur du savoir-faire de la Biscuiterie Jeannette
Calvados # Agroalimentaire

Les madeleines au cœur du savoir-faire de la Biscuiterie Jeannette

174 ans de savoir-faire. Depuis 1850, Biscuiterie Jeannette, implantée à Colombelles en Normandie, a traversé les guerres, changé cinq fois de mains et subi un dépôt de bilan. C’est en 2019, avec l’arrivée d’André Réol et Benoît Martinet que la PME normande reconnue par le label Entreprise du Patrimoine Vivant renaît véritablement de ses cendres.

La biscuiterie a été fondée en 1850 à Caen. Le site de production, qui a été bombardé pendant la seconde guerre mondiale, a été reconstruit par la suite — Photo : DR

"Pour beaucoup de Français, nous sommes la madeleine de Proust", se réjouit Benoît Martinet, directeur général de la Biscuiterie Jeannette. Créée en 1850 par Pierre Mollier avec l'essor de l'agriculture herbagère en Normandie, époque où les agriculteurs décident de pratiquer le "couchage en herbe" et de se lancer dans l'élevage de vaches laitières. Grâce notamment au chemin de fer dont la ligne Paris-Cherbourg est inaugurée en 1857, et qui favorise le transport des produits laitiers ainsi que l'exportation des marchandises vers la région parisienne. La matière première de premier choix vient surtout de la région Normande : farine et œufs de la Plaine de Caen, et le beurre de la Manche. La biscuiterie est alors spécialisé dans la fabrication de petits fours, des sablés Normands et des "desserts de luxe", ce qui contribuera à sa renommée.

La madeleine comme emblème

L’entreprise (25 salariés, 4 M€ de CA) fabrique depuis les années 1930 la madeleine, ce petit gâteau traditionnel aux œufs. Pendant la guerre, la Biscuiterie Jeannette a adapté la production aux exigences du moment et en vient à utiliser des ersatz comme la caséine, sous produit du beurre. Lors du débarquement, 25% de l'usine est détruite. Ne pouvant plus produire, Lucien Jeannette (aussi élu de la ville) décide alors, avec sa camionnette estampillée Jeannette, de se porter volontaire auprès de la défense Passive pour venir en aide aux victimes. Depuis, la madeleine, devenue le produit iconique de la maison, représente 70 % de son activité. "Nous sommes connus et reconnus pour notre savoir-faire sur les madeleines. Beaucoup nous appellent d’ailleurs les madeleines Jeannette" s’amuse le directeur général.

La madeleine, spécialité de la biscuiterie, a adopté la forme traditionnelle de la coquille Saint-Jacques. Elle est fabriquée à partir d’ingrédients locaux de qualité comme le beurre d’Isigny AOP — Photo : DR

Aujourd’hui, ce sont environ 40 000 madeleines en forme de coquille Saint-Jacques revisitée qui sont produites chaque jour sur le site de production de Colombelles en Normandie, soit 10 millions au total en 2023. "C’est un clin d’œil à la mer et au patrimoine normand", assure-t-il. Positionnée depuis toujours sur la biscuiterie haut de gamme, Biscuiterie Jeannette fabrique tous ses biscuits à partir d’ingrédients locaux et haut de gamme. "C’était une force à l’époque", reconnaît le directeur général et c’est encore aujourd’hui là que repose le secret de la réussite de l’entreprise.

La qualité au cœur de la production

Depuis qu’il a repris l’entreprise en 2019 avec André Réol qui était déjà actionnaire de la biscuiterie, Benoît Martinet a fait le choix de la qualité, contrairement à ses prédécesseurs. "En baissant la qualité de nos produits et donc des prix, ils faisaient certes plus de volume mais se rapprochaient des géants industriels du secteur comme Saint Michel ou Bonne Maman", explique l’ancien salarié de Decathlon. Adoptant la stratégie inverse, il se montre particulièrement vigilant et exigeant sur la provenance des ingrédients – beurre d’Isigny AOP, œufs cassés à Lisieux à 50 km de l’usine, farine d’Hamelin dans le sud de la Manche… "Nous sommes repartis sur la base de la biscuiterie qui fabriquait des gâteaux à partir d’ingrédients nobles. Le produit doit être irréprochable, donc nous sommes hyper exigeants sur la provenance et la qualité des matières premières", justifie celui qui a dans le même temps opéré une baisse des prix de vente. Il faut néanmoins compter 16,70 € pour un kilo de madeleines nature, contre 4 € en moyenne pour les autres marques du secteur. Résultat, depuis la reprise, l’entreprise a amélioré sa rentabilité.

Depuis 2019, André Réol alors âgé de 87 ans et déjà actionnaire de la biscuiterie depuis 2015, et Benoît Martinet sont à la tête de l'entreprise — Photo : DR

Liquidation judiciaire en 2013

En 2021, elle dégageait ainsi un premier résultat positif de 150 000 euros pour 3 millions d’euros de chiffre d’affaires.

À contrario, les deux années précédentes, elle avait cumulé plus de 3 millions d’euros de pertes. "La biscuiterie n’avait pas enregistré un euro de bénéfice depuis 1994, révèle Benoît Martinet. Pendant des années, elle a tenu grâce à de nouveaux investisseurs qui réinjectaient régulièrement de l’argent dans l’entreprise". Alors que la biscuiterie était, dans les années 1980, l’un des plus gros employeurs de la ville de Caen avec quelque 250 collaborateurs, son rachat en 1986 par le groupe Gringoire-Brossard l’a précipitée au bord du gouffre. Face à une concurrence de plus en plus forte, elle a cumulé les plans sociaux au début des années 1990 jusqu’en 2013 où le tribunal de commerce de Caen prononçait finalement sa liquidation judiciaire, considérant que l’entreprise avait été de trop nombreuses fois en souffrance.

Georges Viana à la barre

Mais le coup de projecteur médiatique de cette faillite a néanmoins le mérite d’attirer des repreneurs. Face à deux géants de l’agroalimentaire, c’est finalement le particulier Georges Viana qui obtient gain de cause et reprend l’entreprise en 2014 grâce à un financement participatif. Mais des installations surdimensionnées et une baisse de la qualité font de nouveau chuter les ventes de la biscuiterie qui accumule les pertes.

Rajeunissement de l’image de marque

Si elle n’a pas encore aujourd’hui comblé l’ensemble de ces pertes, l’entreprise progresse à grands pas grâce à une gestion plus saine. Pour redresser la barre, Benoît Martinet a optimisé la production et assaini les comptes. "Nous avons repris et optimisé tous les process". Autre axe stratégique, l’image de la marque que le dirigeant a également rajeunie. "Dans le peu de données dont nous disposions sur la biscuiterie, nous avions constaté que la clientèle de la biscuiterie était assez âgée" se remémore-t-il.

L'Esat avec lequel travaillait l'entreprise a été intégré à la biscuiterie. 13 personnes en situation de handicap travaillent aujourd'hui au quotidien dans la biscuiterie sur la production en fin de ligne et la mise en boîte. Entre octobre et décembre, ils sont une soixantaine pour renflouer les équipes — Photo : DR

Nouveau logo, nouveaux packagings, communication sur les réseaux sociaux, embauche de jeunes, tout a été repensé pour insuffler à l’entreprise une nouvelle dynamique. En termes de distribution aussi, Benoît Martinet a voulu repenser les choses. "Nous avons fortement limité la part de la grande distribution avec laquelle les contrats étaient très durs et stricts. Nous nous développons grâce à notre site internet, à notre distribution dans des épiceries fines et à notre boutique d’usine sur notre site de production".

Se développer à l'international

Distribuée sur l’ensemble de la France et très bien représenté dans les Hauts-de-France et en région parisienne, la biscuiterie ne travaille pas encore à l’international mais prévoit de se lancer dès 2025. "Nous ne sommes pour le moment pas staffés pour. Je préfère ne pas faire que mal faire. Néanmoins, ayant beaucoup de demandes Outre-Atlantique, nous allons nous lancer, en commençant par les États-Unis car la Normandie et les États-Unis ont une belle histoire en commun" confie Benoît Martinet. Avec cette nouvelle carte à jouer, le directeur général se dit "rassuré sur les leviers de progression de l’entreprise", évoquant également un futur développement jusqu’en Chine.

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