Dans l’antre de sa fonderie qui n’a guère changé depuis sa construction au 19e siècle, Cornille Havard, installé à Villedieu-les-Poêles dans la Manche, fabrique chaque année, une centaine de grosses cloches. Pour des églises, mais pas uniquement. "Si on ajoute les cloches de maison et de bateaux, nous réalisons environ 300 cloches par an", explique Paul Bergamo. Ayant succédé à ses parents à la tête de la PME en 2012, le dirigeant normand a permis à la fonderie, qui est l'un des derniers fabricants de cloches en France, de rester dans le giron familial. L'entreprise emploie une vingtaine de salariés et a réalisé un chiffre d’affaires d’un million et demi d’euros en 2023.
Paul Bergamo a su intégrer les nouvelles technologies à un savoir-faire ancestral. Les méthodes de fabrication des cloches sont en effet restées traditionnelles, avec des moules fabriqués au trousseau à l’aide d’argile et de crottin de cheval. Les cloches sont toujours constituées d'un dosage de 78 % de cuivre et de 22 % d’étain pour créer l’airain, un bronze qui offre le meilleur son entre tous. À cela s’ajoute une chauffe du four au bois et au charbon. Le choix de la modernité s’est fait en s’équipant de technologies pour atteindre la perfection musicale. "Les profils de cloches sont calculés en conception assistée par ordinateur, les gabarits sont découpés au laser, le contrôle de sonorité est effectué à l’aide d’un analyseur de spectre électronique", explique le chef d'entreprise.
Des commandes pour le monde entier
Les cloches Cornille Havard sonnent dans le monde entier. De Wallis Futuna, à la Corée du Sud, en passant par les États-Unis. "De nouvelles cloches sont en cours de fabrication pour le Vietnam et le Bénin", annonce le dirigeant en précisant que l'entreprise réalise également d'autres pièces de fonderie d'art. Comme des plaques en bronze et bas-reliefs pour les sites de bataille américains du monde entier ou encore une statue monumentale pour l’île de Malte. "Nous avons des commandes pour La Rochelle, pour le Morbihan, le Finistère et la 6e cloche pour l'abbaye royale de Fontevraud : un bourdon prénommé Robert. En moyenne entre 25 % et 30 % de nos cloches sont exportées", explique Paul Bergamo.
La fonderie a également une activité campaniste. Cornille Havard s'occupe de l'installation et de la maintenance des cloches, des horlogeries d'édifices et des installations électriques et électroniques. "Nous faisons l'analyse et la restauration mécanique des cloches de Notre-Dame de Paris", illustre ainsi le dirigeant normand.
Un savoir-faire ancestral
L'entreprise est l'héritière d’une longue tradition de fondeurs de cloches installés à Villedieu-les-Poêles depuis la fin du Moyen Âge. C’est Paul Havard qui, succédant en 1836 à son beau-frère César Béatrix, donne son nom à la fonderie. En 1865, Adolphe Havard, ingénieur polytechnicien, reprend l’activité, il fait construire l’atelier et sédentarise l’activité de fondeur de cloches. Avant cette date, les fondeurs étaient itinérants et se déplaçaient au pied des églises et des cathédrales pour fabriquer leurs cloches.
Dès 1874, il développe considérablement l’activité de l’entreprise qui exporte ses cloches dans le monde entier. Adolphe Havard s’associe en 1903 à son gendre Léon Cornille qui prend la direction de l’entreprise en 1904, devenant alors la fonderie Cornille Havard. Après une période d’inactivité, pendant la seconde guerre, Marguerite Cornille, fille de Léon Cornille, reprend et relance l’activité. Une page se tourne en 1981 lorsque la fonderie sort de la famille, et est cédée à Françoise et Luigi Bergamo.
Conception assistée par ordinateur et tourisme industriel
Ingénieur de l’École Centrale, Luigi Bergamo assure la direction technique et est le premier au monde à modéliser les tracés des cloches en conception assistée par ordinateur. Il met aussi au point le contrôle acoustique sur analyseur de spectre électronique. Son épouse Françoise innove, elle aussi, en développant une activité touristique autour de l'atelier. "Nous avons développé une politique touristique pour faire partager notre savoir-faire aux visiteurs", explique Paul Bergamo. La fréquentation de l'atelier dépasse aujourd'hui les 45 000 visiteurs par an. La fonderie Cornille Havard fait partie du réseau Entreprise & Découverte qui fédère les entreprises artisanales ou industrielles ouvertes au public partout en France.
En 2001, leur fils, Paul Bergamo, vient renforcer l’entreprise familiale pour la développer et la promouvoir. En 2012, il rachète l’intégralité des parts de ses parents. Depuis, il perpétue les traditions qui permettent à la fonderie Cornille Havard d’être reconnue par l’ensemble des experts pour la qualité esthétique et musicale de ses cloches.
Mêler le contemporain à la tradition
Paul Bergamo aime inviter des artistes contemporains pour décorer ses cloches. Cet hiver, c’est l’artiste Vincent Olinet qui a signé la nouvelle cloche, baptisée "Julie" destinée à l’abbaye royale de Fontevraud, dans le Maine-et-Loire en hommage à Julie d’Antin la dernière abbesse du site religieux. "Cela fait trente ans que l’on pousse à faire du contemporain, alors que 98 % de la production actuelle fait appel à des motifs du 19e siècle", rappelle Paul Bergamo. Une évolution artistique vers le contemporain qui sonne bien…
