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L’Économie sociale et solidaire, un modèle qui gagne du terrain en région Paca
Enquête Région Sud # RSE

L’Économie sociale et solidaire, un modèle qui gagne du terrain en région Paca

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Dix ans après la loi Hamon, qui fixe un cadre à l’Économie sociale et solidaire, cette économie représente toujours 10 % de l’emploi régional. Reconnue par le législateur, érigée au rang de solution pour le monde de demain, cette économie, qualifiée d’économie à impact, gagne du terrain, portée par des entrepreneurs qui veulent s’engager pour une croissance plus juste et plus durable.

L'incubateur Inter-Made organise chaque année un événement dédié à l'innovation sociale, comme ici, en 2023, aux Grandes Tables de la Friche la Belle de Mai — Photo : Inter-Made

Hisser la région Provence-Alpes-Côte d'Azur au rang de région numéro 1 de l’Économie sociale et solidaire en France. C’est l’aspiration de Denis Philippe, le président de la Chambre régionale de l’ESS, convaincu que "plus nous aurons d’entreprises de l’ESS, plus nous pourrons démontrer la pertinence du modèle économique."

L’ESS, 10 % de l’emploi régional

Alors, 10 ans après la création de ce secteur par la loi Hamon de 2014, où en sommes-nous ? En région Paca, l’Économie sociale et solidaire (ESS) représentait en 2022 plus de 173 000 salariés, répartis au sein de 11 794 structures, des associations, des coopératives, mutuelles, fondations ou des entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS). Si le nombre d’emplois est plus important en Paca qu’en Bretagne, c’est tout de même cette dernière qui fait figure de championne puisqu’elle est la première région française pour le poids de l’ESS dans l’économie avec 14,3 % de l’emploi régional (148 000 salariés). En Paca, ce ratio est de 10 %, le même qu’au niveau national.

Parmi ces entreprises sociales et solidaires, le modèle des Scop et des SCIC est lui aussi à la traîne en région. Avec 331 sociétés coopératives, représentant 2 973 emplois et 281 millions d’euros de chiffre d’affaires, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse occupent l’avant-dernière place du classement, devant la Bourgogne-Franche-Comté et très loin dernière la Bretagne, numéro 1 avec 17 300 salariés. Pour Antoine Séveno, délégué régional des Scop et SCIC, cet écart est difficile à comprendre, mais il avance néanmoins des raisons sociologiques : "certaines régions sont plus solidaires, d’autres plus individualistes."

Des entreprises "pansement" devenues des modèles

À première vue, donc, le portrait de l’ESS en région serait peu flatteur. Néanmoins, tous s’accordent pour dire que cette économie a le vent en poupe, portée, depuis 10 ans, par la loi Hamon, puis par la nécessité de créer de nouveaux modèles durables.

Cédric Hamon, directeur d'Inter-Made — Photo : Marjolaine Dihl Marjolaine Dihl

"La loi a donné un cadre de référence. Elle a diffusé la culture de l’ESS, qui est passée d’une image marginale, voire empruntée au monde des Bisounours, à une image sérieuse. Elle a positionné l’ESS à des niveaux de décision plus importants", constate Cédric Hamon, qui dirige Inter-Made, un incubateur qui accompagne une centaine de projets par an, en création ou développement, de Marseille à Nice, en passant par Arles et Aix-en-Provence. Et d’ajouter que "sans ces entreprises de l’ESS, dont 75 % d’entre elles ont une vocation réparatrice, notre modèle de société serait défaillant. Le fait de les reconnaître au même titre que les autres visions économiques permet de les ériger au rang de modèle."

Un modèle réussi, et à suivre, à l’image du groupe La Varappe (CA2023 : 90 M€, 1 020 ETP). Né à Aubagne, il est devenu un acteur national de l’inclusion et a récemment levé 20 millions d’euros autour d’une ambition : faire passer l’inclusion de la marge à la norme.

Au cours du mois d’avril, d’autres pépites ont été révélées par l’association parisienne Les Canaux, qui mène depuis deux ans, un travail d’intermédiation pour que l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris profite aussi à l’économie sociale et solidaire. Pour Marie Lou Ferté, cheffe de projet en charge de l’animation territoriale à Marseille, "Les Canaux ont mené une démarche inédite d’intermédiaire et ce premier test est une franche réussite." Dans les Bouches-du-Rhône, où se dérouleront les épreuves de voile, 25 entreprises locales de l’ESS ont été lauréates de marchés des Jeux, tous secteurs confondus. "L’atelier d’insertion Le Fil Rouge a réalisé 100 000 des 450 000 t-shirts des volontaires des JO. L’Esat Les Glycines a décroché le marché de blanchisserie des serviettes des athlètes. L’entreprise adaptée HumainEA, spécialisée dans les RH, a réalisé des prestations de gestion administrative de contrats d’alternance. À travers ces réussites, nous apportons la démonstration que les entreprises de l’ESS sont capables de répondre aux exigences de grands projets de territoire."

L’ESS dans tous les secteurs d’activité

Puis, de grands groupes investissent aussi ce secteur, notamment à travers des incubateurs, comme Inter-Made : "L’ESS peut se retrouver dans tous les secteurs d’activité. En revanche, elle obéit à certaines tendances. Ainsi, dans la Silver économie, de grandes entités privées, comme AG2R La Mondiale, dotées d’une mission d’intérêt général et d’enjeux en termes d’identité, nouent des partenariats avec des incubateurs pour favoriser l’émergence de structures dédiées au "bien vieillir". De la même manière, nous avons lancé, avec Veolia et la French tech Côte d’Azur, le parcours Az’Up pour accompagner les entrepreneurs à développer leur projet à impact. Nos promotions sont ainsi constituées de projets portés par des effets de mode, de projets sélectionnés à travers un partenariat avec un grand groupe", souligne Cédric Hamon.

Réussite et ESS vont de pair

Entreprendre dans l’ESS, c’est possible ! Mieux, "la réussite n’est pas antinomique de l’ESS, ni de l’économie à Impact, qui est plus large que la seule ESS", selon Rémy Lagarrigue, l’un des trois référents régionaux du mouvement Impact, par ailleurs dirigeant de la foncière Essentiel, installée à Marseille, filiale du promoteur Redman (79 collaborateurs, CA 2022 : 200 M€).

Depuis le mois de novembre 2023, Rémy Lagarrigue à Marseille, Delphine Chouvet dans le Vaucluse, et Franck Vu Hong à Sophia Antipolis représentent le mouvement Impact France en Région Sud — Photo : Impact Paca

Pour Jean-Michel Sibué, directeur associé d’A Plus Finance, qui gère le fonds InvESS’t Paca, voulu par la CRESS, "l’ESS a changé. Là où elle intervenait sur des sujets que les entreprises classiques délaissaient, nous voyons désormais de jeunes entrepreneurs engagés, qui veulent faire des affaires en respectant toutes leurs parties prenantes, qui approchent la création de valeur comme quelque chose qui doit être uniformément répartie tout au long de la chaîne, qui adoptent des règles de gouvernance démocratique, qui veulent avoir un impact social et environnemental." D’ailleurs, la création du fonds InvESS’t en 2019 et ses participations attestent de ce développement.

Crédibilité face aux sponsors et aux collectivités

Depuis la première opération bouclée en juin 2021 auprès de la coopérative Soliha Méditerranée, qui réhabilite des logements dégradés, le fonds a investi 6,5 millions d’euros dans 15 entreprises en région : l’école informatique inclusive La Plateforme, l’acteur du zéro déchet Anotherway, des tiers-lieux comme L’Épopée à Marseille ou Montrieux Le Hameau dans le Var. Et aussi la société de Romain Sombret, MCES (6 salariés, CA : 800 000 euros).

Spécialisée dans l’e-sport et labellisée ESUS, elle a levé 200 000 euros en août 2023. "Avec d’autres partenaires, nous développons des programmes pour ramener les jeunes des quartiers prioritaires de la ville vers l’éducation et le sport. Pour nous, faire partie de l’ESS apporte de la crédibilité à notre démarche, que ce soit auprès des sponsors ou des collectivités."

Sa voisine, Dev-id (68 collaborateurs, CA : 3,50 M€), qui réalise des applications depuis 2015 et travaille pour des start-up ou grands comptes comme Airbus Helicopters, Snef ou NGE, a également été soutenue par InvESS’t Paca. Si son dirigeant, Julien Lescoulié, s’est mis à recruter et former des publics éloignés de l’emploi, "c’est pour faire face à la rareté des profils de développeurs." En quatre ans, Dev-id a ainsi formé une centaine de personnes en partenariat avec Simplon et son dirigeant a acquis la conviction que "la diversité est très importante", dans un univers où les ingénieurs de grandes écoles sont légion.

Des convictions comme moteur

C’est surtout par conviction que nombre d’entrepreneurs s’engagent sur cette voie, car sa force "réside en sa capacité à inventer des solutions qui permettent de répondre aux enjeux de réduire les inégalités et les fragilités, et de créer de nouveaux modèles durables", selon Denis Philippe.

Julien Vert a cofondé Potagers & Compagnie avec Laurence Berlemont (par ailleurs dirigeante du Cabinet d’agronomie provençale) avec l’envie d’avoir un projet d’entreprise compatible avec le monde dans lequel nous vivons — Photo : Serge Chapuis

Ainsi, Julien Vert, le cofondateur et dirigeant de Potagers & Compagnie (3 personnes, CA : 250 000 €), une entreprise solidaire d’utilité sociale implantée au Val, près de Brignoles l’assure : "lorsque je me suis lancé dans l’entrepreneuriat, je voulais développer une entreprise, compatible avec le monde dans lequel nous vivons." Potagers & Compagnie œuvre sur le front de la transition agro écologique depuis 2019 en produisant fruits et légumes, en formant au maraîchage, en accompagnant collectivités et entreprises dans la création de potagers. "Nous avons ainsi participé à la création de lieux nourriciers et écologiques, avec des personnes qui n’y connaissaient rien au départ."

Pour Claire Leroy, entreprendre en Scop a permis de sauver l’agence de traduction Clavis (Sophia Antipolis, 6 personnes) où elle était salariée depuis 1997. "Faute de repreneur quand notre dirigeant est parti à la retraite, l’entreprise aurait fermé. L’idée de la Scop a fait son chemin et nous avons été épaulés par l’Union régionale des Scop. Nous n’étions pas lâchés seuls dans la nature", confie Claire Leroy. "À l’heure où les défaillances d’entreprises augmentent, les salariés doivent savoir qu’ils peuvent reprendre leur société", ajoute Antoine Séveno.

Cinq des six salariés de l’agence de traduction Clavis (Sophia Antipolis), ont repris leur entreprise en créant une société coopérative de production — Photo : Olivia Oreggia

De son côté Rémy Lagarrigue, à la tête de la société à mission Essentiel, a choisi de changer le paradigme du secteur immobilier, de redonner vie à des sites urbains à "recycler" et contribuer à faire grandir des projets qui ont un impact écologique et social sur le territoire, sur le long terme. Il incarne une vision plus large de l’ESS, il incarne des entreprises dotées d’une raison d’être, du statut d’entreprise à mission, ou d’une politique RSE.

À contre-courant

"Facile à dire, plus dur à réaliser", précise le directeur, qui a une dizaine de projets dans le "pipe", pour lesquels il doit toquer à de nombreuses portes pour boucler les financements. Puis, ajoute-t-il, "ce changement n’est pas sans conséquence : il a une incidence sur le chiffre d’affaires, sur les effectifs aussi."

D’ailleurs, Julien Lescoulié, de Dev-id reconnaît volontiers avoir occulté, au départ, la partie sociale de son activité auprès de ses clients. "Si nous nous étions immédiatement revendiqués de l’ESS, en expliquant qu’il n’était pas nécessaire de disposer d’ingénieurs, nous n’aurions pas réussi à nous développer."

Ces difficultés, Julien Vert les partage aussi et il regrette d’ailleurs l’absence de cadre économique et réglementaire, qui favoriserait les solutions à fortes valeurs écologiques et sociales. Franck Vu Hong, membre du trio référent d’Impact Paca, aussi. Ce dernier dirige l’entreprise à mission Aepsilon (Sophia Antipolis), dont les 40 salariés accompagnent la transition numérique. "Nous voulons devenir une locomotive de la transition sur le territoire", explique le dirigeant, qui a commencé sa mue en 2015, en adoptant des politiques managériales innovantes, jusqu’à permettre à ses salariés de déterminer leur salaire eux-mêmes. "J’ai découvert, sur le tas, que je faisais de l’impact social, à un niveau avancé." Depuis, il travaille aussi sur l’empreinte environnementale d’Aepsilon, mais doit bien l’admettre : "se développer est plus long, et la perte d’effectifs est une réalité puisque j’ai moi-même vu partir des salariés qui ne pouvaient plus manager. Nous sommes à contre-courant, et il m’arrive de faire une croix sur certains marchés, parce que le prix reste encore la variable principale."

La prime à la vertu

C’est d’ailleurs contre cette toute-puissance du prix qu’il se bat avec ses acolytes d’Impact Paca, Rémy Lagarrigue et Delphine Chouvet, à la tête de l’éco-entreprise Les Valoristes, à Avignon. Pour faire de la France le leader de l’économie à impact (qui englobe l’ESS), le mouvement Impact France milite pour le remplacement de la prime au vice par la prime à la vertu.

Cela permettrait "d’accélérer l’effort de transition, de le rendre désirable", selon les mots de Rémy Lagarrigue. Son référentiel de prédilection ? L’Impact Score, qui mesure pour chaque entreprise l’impact de leur cœur d’activité, de leur gouvernance et de leurs externalités sociales et écologiques. Demain, le mouvement espère qu’un maximum d’acteurs adopte cet outil, comme une condition à l’octroi de certaines aides, ou au gain de certains marchés publics. Depuis avril 2023, la région Occitanie a rendu la réalisation de l’Impact Score obligatoire pour toute entreprise de plus d’un an d’existence sollicitant une aide économique régionale. Depuis septembre 2023, la Métropole d’Aix-Marseille l’a rendu obligatoire pour toutes les aides à l’immobilier. Deux preuves que les choses changent. "Pour s’adapter aux crises, pour réussir sa marque employeur, pour anticiper les réglementations, il y a plein de raisons d’aller vers un nouveau modèle, social, solidaire et environnemental. Les entreprises qui ne s’adapteront pas finiront par périr", conclut Franck Vu Hong.

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