"L’économie et l’environnement sont sortis des écrans radars"
Interview # Politique économique

Patrick Martin président du Medef "L’économie et l’environnement sont sortis des écrans radars"

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Patrick Martin était invité ce mardi au 2e forum Alcyon Sud organisé à Mandelieu, près de Cannes, par l’UPE 06 et le Medef Sud, autour de la transition écologique des entreprises. De transition tout comme d’économie, le patron des patrons français a souligné et déploré l’absence des débats politiques et campagnes électorales, et ce, tous partis politiques confondus.

Patrick Martin est le président du Medef, le Mouvement des entreprises de France — Photo : Olivia Oreggia

Quels sont, à ce jour, les effets de l’actualité politique sur les entreprises françaises ?

Nous avons enquêté parmi nos adhérents. Beaucoup de décisions d’embauches ou d’investissements ont été gelées. De même que des achats immobiliers ou des fusions-acquisitions. Le temps est un peu suspendu. Il ne faut que cela dure trop longtemps. Tout cela s’inscrit dans une conjoncture d’activité assez molle, et même franchement sinistrée pour toute la filière immobilière, et une consommation qui n’est pas vraiment repartie. Nous l’espérions avec la baisse de l’inflation et au regard de ce que les entreprises ont consenti en termes de revalorisations salariales. Et nous étions sur une trajectoire trop lente de baisse des taux d’intérêt. Là aussi, nous espérions que cela donnerait un coup de fouet à la croissance, cela commençait à se dessiner. Au contraire, les taux remontent. Enfin, c’est un sujet de préoccupation, il y a un durcissement de la concurrence internationale assez incroyable avec des Chinois et des Américains qui ont des attitudes très prédatrices.

Au regard de tout cela, les débats politiques me paraissent très, très décalés, en particulier lorsque nous avons fait l’audition des représentants des principales formations politiques. Nous nous sommes attachés à réintroduire de la rationalité économique.

Comment expliquez-vous que l’entreprise n’apparaisse pas au cœur des débats électoraux, ni, semble-t-il, des préoccupations des Français ?

Avant de l’expliquer, je le déplore. L’économie, sous quelque forme que ce soit, reprend toujours ses droits. On ne financera pas nos écoles, nos régimes sociaux, les emplois si l’économie ne se porte pas bien. C’est surprenant pour ne pas dire choquant, que malgré les efforts du Medef, on ne parle pas plus d’économie dans cette compétition électorale.

De gauche à droite : Stéphane Benhamou, président de l’Union Patronale du Var ; Pierre Ippolito, président de l’UPE06, Patrick Martin, président du Medef, et Jean-Louis Maurizi, président du Medef Sud — Photo : Olivia Oreggia

De la même manière, on ne parle pas beaucoup d’environnement qui est pourtant un enjeu existentiel. Tout cela est sorti des écrans radars. D’autres enjeux ont été priorisés, je le regrette, et aussi un peu instrumentalisés, qui focalisent l’attention de nos concitoyens et par conséquent les positionnements et les discours politiques. Ces sujets, comme ceux liés à l’ordre public, sont importants, mais ils ne sont tout de même pas l’alpha et l’omega des grands enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Peut-on se permettre, y compris parmi les entrepreneurs que vous représentez, de mettre ainsi de côté la question environnementale ?

Dans nos rangs, le virage de la transition environnementale est pris, même de la part d’entrepreneurs, et ils sont nombreux, pour qui cela représente d’une certaine manière une menace. Je pense par exemple à tous les industriels qui travaillent pour les moteurs thermiques. Mais le virage est pris. D’abord parce que l’on n’a pas le choix, et ensuite parce que cela crée des opportunités.

Ce qui me frappe dans les enquêtes d’opinion c’est que, y compris chez les jeunes, le sujet de l’environnement a rétrogradé dans les priorités alors que les phénomènes climatiques ne cessent de nous démontrer que ce n’est pas de la théorie.

"Quelle que soit la coloration politique du futur gouvernement, on ne peut pas faire sans les entreprises, on ne peut pas faire contre les entreprises."

Vous avez chiffré le coût de décarbonation pour les entreprises. Qu’en est-il ?
Il faut que nos entreprises françaises investissent 40 milliards d’euros supplémentaires chaque année pour tenir la cadence de neutralité carbone à horizon 2050. Soit 10 à 12 % de plus que ce qu’elles investissent normalement. Au moment où je vous parle, l’investissement global des entreprises est en légère baisse. Il nous faut trouver 40 milliards d’euros de plus chaque année. C’est ce que nous voulons faire. Avec des financements privés, si possible de l’autofinancement, mais aussi avec des crédits publics. Et là nous sommes, par conviction et par intérêt, très européens, car ce n’est pas avec le budget de l’État français que nous pourrons être aidés.

Comment pensez-vous pouvoir remettre ces sujets au centre des discussions, une fois passé le second tour des élections législatives ?

Le Medef, c’est 200 000 entreprises adhérentes, de toutes tailles, tous secteurs, sur tous les territoires, qui emploient plus de 10 millions de salariés. Plus largement, ce sont les entreprises qui tractent l’économie, créent l’emploi, qui distribuent essentiellement le pouvoir d’achat, innovent, exportent. Objectivement, quelle que soit la coloration politique du futur gouvernement, on ne peut pas faire sans les entreprises, on ne peut pas faire contre les entreprises. Dès les premiers temps de l’installation du gouvernement, quel qu’il soit, il faudra que l’on se parle et que nous parlions aussi avec les organisations syndicales avec lesquelles nous partageons certains objectifs. Sans arrogance, il nous faudra être omniprésents dans le débat, sinon, nous partons en terra incognita.

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