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Le Zéro artificialisation nette va bouleverser les habitudes des professionnels de l’immobilier
Enquête Région Sud # Attractivité

Le Zéro artificialisation nette va bouleverser les habitudes des professionnels de l’immobilier

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Les objectifs ambitieux du dispositif "Zéro artificialisation nette" (ZAN), qui vise dans un premier temps une réduction de 50 % de la consommation d'espaces naturels et agricoles d’ici à 2031, inquiètent les professionnels de l’immobilier en région Sud. Des solutions existent, mais leur acceptabilité sociale et leurs coûts font débat.

Le développement de zones d’activités, fortement consommatrices de foncier, va devenir plus compliqué — Photo : D.R.

ZAN. Zéro Artificialisation Nette. L’acronyme demeure largement méconnu, pourtant, depuis maintenant un an, cette notion inquiète le monde politique et le monde économique. Il est vrai que les défis sont à la hauteur des enjeux. "La maison brûle et nous regardons ailleurs". L’avertissement lancé en 2002 par l’ancien président de la République Jacques Chirac lors du IVe sommet de la Terre annonçait un réveil du politique face aux atteintes à l’environnement, au recul de la biodiversité et au changement climatique. Un sol artificialisé n’absorbant plus de dioxyde de carbone, la lutte contre l’artificialisation des sols peut être considérée comme un enjeu majeur pour réduire le réchauffement climatique. Ainsi, dès 2018 la notion de Zéro artificialisation nette apparaît dans le plan biodiversité, lancé alors par Nicolas Hulot, avant d’être reprise en 2020 par la Convention citoyenne pour le climat, puis, en 2021, dans la loi dite "Climat et résilience".

Des objectifs ambitieux

Depuis l’été 2023, le Zan s’impose avec un objectif clair et ambitieux, en deux phases. La première consiste à réduire la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) des sols de 50 % entre 2021 et 2031, en prenant pour référence la période allant de 2011 à 2021. Ensuite, l’objectif est d’atteindre le zéro artificialisation nette en 2050. Plus aucun mètre carré non artificialisé ne pourra être utilisé à moins de désartificialiser ailleurs la même superficie afin d’obtenir cet équilibre net.

"La loi Zan nous a pris par surprise"

"La loi Zan nous a pris par surprise", avoue Anthony Perez, directeur général du groupe parisien Alsei, basé en Métropole à Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes et Lille, qui précise qu’en France, le nombre de mètres carrés artificialisés par habitant est de 470, alors qu’en Italie il est de 260 m², en Espagne de 300 m² et en Allemagne de 410 m². Depuis 2016, poursuit-il, 25 000 hectares d’espaces naturels, agricoles ou forestiers, ont ainsi été artificialisés au niveau national, sans rapport proportionnel avec la croissance de la population et une commune sur quatre a connu un accroissement de l’artificialisation des sols alors que son nombre d’habitants a diminué. Il est toutefois bon de noter qu’en 2018, en France, seulement 5,6 % du territoire était artificialisé contre 6,4 % au Royaume Uni, 7,6 % en Allemagne ou encore 11,7 % en Belgique. L’habitat couvre environ 42 % des terres artificialisées, les infrastructures de transport près de 28 %, les infrastructures de services et de loisirs 16 %, et le foncier économique 13,7 %… En région Sud, 13 900 hectares d’Enaf ont été consommés entre 2011 et 2020. Autrement dit, la consommation régionale devrait être d’environ 700 hectares par an, dès aujourd’hui.

Des critiques multiples

Si personne ne songe à remettre en cause le bien-fondé de la démarche Zan, les critiques sont multiples. " Baisser de 50 % sur dix ans, est un objectif véritablement très ambitieux ! ", déclare en préambule Jérôme Dentz, président du Club Immobilier Marseille-Provence. Avant d'ajouter : "les professionnels sont encore dubitatifs car nous avons du mal à comprendre les règles du jeu. Nous peinons déjà, sur notre territoire, à trouver du foncier disponible. Comment cette règle peut-elle s’adapter aux enjeux de développement de nos entreprises ? Il y a un vrai besoin à loger la population et le Zan, pour sauver la planète, met en quelque sorte un frein à la production de logements". Même son de cloche chez Nexity Marseille. "L’idée de la loi et le principe du Zan sont positifs. Stopper l’érosion de la biodiversité, éviter le grignotage et le mitage des terrains périurbains, sont des idées louables. Mais, il y a un décrochage entre le principe et la réalité. Ces théories sont trop contraignantes, le droit de la propriété, notamment, rend tout cela très complexe à mettre en œuvre", précise Lionel Séropian, directeur de Nexity Marseille.

"Dans le Var, nous sommes de plus en plus nombreux et nous avons besoin de construire des logements. La solution serait de construire en hauteur, mais certains maires sont opposés aux constructions de plus de 9 mètres !"

Une inquiétude partagée par Serge Perottino, dirigeant du groupe immobilier éponyme basé à Peypin (Bouches-du-Rhône) et par ailleurs maire du village de Cadolive, entre Aubagne et Aix-en-Provence. "La loi Zan va à contresens des phénomènes récents. Depuis la fin de la pandémie liée au Covid-19, les gens quittent ainsi les grands centres urbains pour s’installer dans des zones moins denses. De même, les primo accédants. Nous sommes ainsi contraints d’artificialiser sur des territoires en périphérie des métropoles pour produire du logement…", déclare ce dernier. En quelque sorte l’inverse de l’esprit de la loi. "Il y a un problème entre le discours du gouvernement et la réalité du terrain. Dans le Var, la démographie est positive, nous sommes de plus en plus nombreux et nous avons besoin de construire des logements. La solution serait de construire en hauteur, mais certains maires sont opposés aux constructions de plus de 9 mètres !", confie Fabien Piersanti, président de la fédération du BTP du Var. En France, comme le rappelle Serge Perottino, "nous avons besoin d’environ 500 000 logements par an et quand on demande à un enfant de dessiner son logement idéal, il dessine une maison individuelle, avec un jardin et une piscine. Il ne dessine pas une barre d’immeubles…"

Une révolution culturelle à opérer

Car le principe du Zan a avant tout pour conséquence de changer notre façon de voir la ville. Une véritable révolution culturelle. "C’est une évolution qui nous éloigne clairement de l’idéal individualiste de la maison individuelle. Heureusement, les nouvelles générations semblent davantage raisonner en termes d’usage que de possession. Alors les choses vont peut-être pouvoir évoluer favorablement, mais actuellement, le marché n’est pas mature", confirme Lionel Séropian.

La crainte d'une concurrence entre logement et activité économique

Autre enjeu dont s’inquiète Laurent Amar, vice-président de la CCI Aix-Marseille-Provence, la répartition du foncier entre logements et activité économique : "la loi Zan va réduire la disponibilité foncière, donc augmenter le prix du foncier et entraîner une concurrence d’utilisation sur le foncier disponible entre logement et activité économique. Il va falloir arbitrer et le risque est grand que le logement l’emporte sur l’activité, alors même que la France a des objectifs de réindustrialisation. Nous nous trouvons clairement face à des injonctions contradictoires. Il va être nécessaire de dégager des terrains pour permettre aux entreprises, soit de s’étendre, soit de s’implanter, sinon le Zan sera synonyme de décroissance et là, nous serions alors opposés à ce principe".

Construire sur des friches existantes peut s’avérer coûteux, notamment en termes de dépollution — Photo : D.Gz.

Réhabiliter les friches

Il existe deux grandes solutions pour dégager du foncier sans artificialiser des sols entre naturels : la rénovation de friches et la surélévation. Le multi-usage du foncier se mélange ensuite à ces principes. "Réhabiliter plutôt que de construire est une bonne idée, mais il manque une banque ou une place de marché qui nous permettrait de connaître l’ensemble des friches de nos territoires, souligne Jérôme Dentz, par ailleurs dirigeant de la société aixoise Citimotion (6 collaborateurs, 6,5 M€ de CA), qui de son côté a déjà pris le virage de la rénovation. C’est plus coûteux et plus compliqué que de lancer un projet sur un terrain nu, mais le modèle économique existe". L’entreprise a ainsi sorti de petites opérations de rénovation urbaine, notamment à La Ciotat (la résidence Premières Loges, soit 12 logements) et travaille en outre actuellement à Marseille sur des dossiers concernant des immeubles vides à 80 %.

De son côté, la société Barjane (50 salariés, 50 M€ 50 de CA), spécialisée dans l’immobilier, en particulier dans le domaine de la logistique, installée à Châteauneuf-le-Rouge, près d’Aix-en-Provence, confirme que les friches constituent une réserve foncière à explorer. "50 % de nos projets sont déjà positionnés sur des friches, comme la Zac des Aiguilles à Ensuès-la-Redonne, qui est constituée par le regroupement de trois friches (carrière, incinérateur et usine de retraitement de déchets). C’est une démarche qui augmente fatalement le coût des projets, surtout quand une démarche de dépollution s’impose. Or, l’augmentation des coûts va avoir un impact sur la compétitivité des entreprises qui vont s’implanter sur les sites. Si la France est le seul pays à mettre en place de telles contraintes, cela peut, au final, être un frein à la réindustrialisation souhaitée par le gouvernement", détaille Léo Barlatier, qui avec sa soeur Julie, dirige la société Barjane. Laurent Granier, directeur commercial Immobilier d’entreprise chez GSE s’interroge : " Si un terrain est devenu une friche, ce n’est peut-être pas dû au hasard. Le site pourrait ne pas être adapté à l’activité économique… " L’utilisation de friches rend en outre les territoires inégaux. Certains disposant de réserves importantes et d’autres non. Le directeur commercial préfère ainsi mettre en avant une autre stratégie pour répondre aux injonctions du Zan : la verticalité.

Construire plus haut

"Nous avons déjà réalisé des opérations en hauteur, mais il faut maintenant aller bien plus loin dans cette direction. Il y a un surcoût, mais sur un terrain donné il est possible de réaliser davantage de surface de stockage. Nous allons ainsi livrer un parc d’activité à étages pour PME/TPE, à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), dans la zone d’Aerolians. Ce parc représente 20 000 m², soit deux étages de 10 000 m², sur seulement 23 000 m² de parcelle. D’ordinaire, il aurait fallu au moins un terrain de 40 000 m² pour faire la même chose. Il faut approfondir ces solutions, c’est la piste la plus intéressante", ajoute Laurent Granier.

Un besoin de faire évoluer les PLU

À condition, comme le dit Laurent Amar de la CCI AMP, "que les plans locaux d’urbanisme évoluent et autorisent la surélévation. Il va falloir se mettre en cohérence et augmenter les coefficients d’occupation des sols". À ce titre, les objectifs de la loi devront avoir été déclinés et intégrés aux SCoT (schéma de cohérence territoriale) d’ici 2026 et d’ici 2027 pour les plans locaux d’urbanisme. "Si on ne peut plus s’étaler, il va falloir verticaliser les constructions, ce qui va poser d’autres soucis, notamment en termes de voisinage", commente de son côté l’architecte Renaud Tarrazi, l’un des quatre associés de l’agence Map (Marseille Architecture Partenaire), qui avec Céline Betito, de l’agence Céline B Conseil, a créé, à la fin 2022, un collectif, baptisé Chutt, qui réunit une dizaine d’opérateurs afin de mettre en place une verticalité "désirable", compatible avec le principe de réversibilité des sites et des opérations.

Solution clé en main par le collectif Chutt

"Nous proposons de valoriser les niveaux supérieurs au rez-de-chaussée et de mettre en œuvre la ville du quart d’heure où les gens pourront vivre, travailler et consommer sans se déplacer", explique Renaud Tarrazi. Chutt a élaboré une solution technique clé en main pour surélever avec un système "en tabouret", qui permet de désolidariser le rez-de-chaussée existant des étages construits par la suite. Chutt intervient ainsi notamment dans le projet de rénovation de la zone commerciale de Plan de Campagne, près de Marseille, projet soutenu au titre du plan national de transformation des zones commerciales qui a sélectionné 74 sites en France pour un montant de 24 millions d’euros. "Avec la surélévation, nous ouvrons un nouveau territoire de prospection et des opportunités que les propriétaires fonciers n’imaginent même pas. Dans les villes, les "dents creuses" qui peuvent être verticalisées sont très nombreuses et l’acceptabilité des projets sera plus aisée", insiste l'architecte.

En outre, ces projets ne reposeront pas sur l’achat de foncier, mais sur la valeur bâtie et pourront donc sortir à des prix demeurants attractifs. D’autant que l’ensemble des réseaux préexiste et qu’il n’y a pas à s’inquiéter d’éventuelles trouvailles archéologiques puisque le sous-sol est déjà utilisé. "Tout le monde sera gagnant. La collectivité respecte le principe du Zan, le commerçant en rez-de-chaussée gagne des consommateurs potentiels, le propriétaire une redevance supplémentaire et les habitants pourront bénéficier de logements différents avec de nombreux services… ", conclut Renaud Tarrazi.

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