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Le tourisme d'entreprise, un attrait grandissant en Bretagne
Enquête Bretagne # Agroalimentaire # TPE

Le tourisme d'entreprise, un attrait grandissant en Bretagne

Les entreprises bretonnes sont de plus en plus nombreuses à ouvrir leurs portes au public. Avec 1,2 million de visiteurs accueillis au sein de près de 200 sociétés en 2023, la visite d'entreprise progresse au cœur d'une des régions françaises les plus touristiques. Boostée par l'agroalimentaire, l'activité tend à gagner d'autres secteurs.

Exploitée par EDF, l'usine marémotrice de la Rance est dans le top 10 des entreprises bretonnes les plus visitées avec 30 560 visiteurs enregistrées en 2023 — Photo : DR

Il s’appelle tourisme d’entreprise mais on peut le trouver sous ses variantes : tourisme des entreprises, tourisme des savoir-faire voire tourisme industriel pour certaines sociétés. Plus globalement ce terme renvoie à la possibilité, pour des visiteurs, de découvrir des entreprises en activité. Et ces opportunités ne sont pas si récentes que cela. Ces pratiques de la visite d’entreprise sont nées avec l’industrialisation en France mais aussi en Angleterre au XIXe siècle : l’idée étant que les fabriques ou grandes manufactures s’ouvrent aux visiteurs pour démontrer leur savoir-faire, les technologies ainsi que les produits finis.

Au XXIe siècle, la tendance des visites d’entreprises perdure et elle connaît un essor tout particulier en Bretagne. Avec 1,2 million de visiteurs accueillis dans 185 entreprises en 2023, "la Bretagne observe une augmentation de 45 % du nombre d’entreprises qui rejoignent cette initiative et de 20 % du nombre de visiteurs en trois ans. La filière connaît un nouveau rebond comparé à l’observatoire 2020", atteste l’étude régionale menée par l’association Entreprise et Découverte, la référence nationale de la visite d’entreprise. Comment s’expliquent ces chiffres et cette croissance ? "La Bretagne est très dynamique sur le sujet comme peuvent l’être d’autres régions comme la Normandie et le Sud suite au travail que nous menons avec la Région et les offices de tourisme bretons", atteste Anne Aubineau, directrice Ouest au sein d’Entreprise et Découverte. En effet, l’association a été retenue par le ministère de l’Économie pour développer la visite d’entreprise à l’échelle nationale.

La semaine du tourisme économique, une initiative bretonne

Après des premiers diagnostics menés dans les régions et auprès de quelque 3 500 entreprises, des échanges auprès des offices de tourisme, des propositions faites aux Régions, la machine a été relancée en Bretagne en 2022. "La Région Bretagne s’est réapproprié ce levier touristique en le structurant et en s’engageant en proximité avec ses offices de tourisme et les collectivités locales", précise Anne Aubineau. À l’échelle nationale, la région Bretagne est la seule région française à organiser, chaque automne, "une semaine du tourisme économique et des savoir-faire". Quelque 400 entreprises régionales, de toutes tailles et de tous secteurs d’activité, ouvrent leurs portes à cette occasion.

Outre cette semaine du tourisme économique, qui permet aux entreprises de faire leurs premiers pas vers l’accueil de public, un grand nombre d’entreprises inscrit cela dans le temps, parfois dans son ADN mais surtout dans sa stratégie. En Bretagne, le Finistère aura aussi été le département le plus à la pointe pour faire découvrir les coulisses des entreprises. Dès 1999, la CCI du Finistère a développé une initiative dénommée "Finistère Découverte Économique" afin de valoriser les savoir-faire et les technologies des entreprises finistériennes en contribuant ainsi à la promotion économique et touristique du département du Finistère et de la région Bretagne. Remise au goût du jour, elle porte aujourd’hui le nom "Les secrets de nos boîtes".

Le Finistère à la pointe

Si le Finistère a été pionnier de ces initiatives, ce n'est donc pas un hasard de découvrir dans le top 10 des entreprises les plus visitées, quatre entreprises finistériennes aux quatre premières places du classement et d’observer qu’elles trustent 60 % de ce top ten. La première place est occupée par La Biscuiterie de la Pointe du Raz (Plogoff) avec 166 650 visiteurs, suivie de la Conserverie Courtin (Trégunc) avec 153 300 visiteurs, La Biscuiterie de Pont-Aven avec 138 420 visiteurs (Pont-Aven) et La Biscuiterie de Concarneau avec 117 940 visiteurs. Or, ces quatre poids lourds du tourisme industriel appartiennent à une seule et même famille, la famille Collin. "Nous bénéficions d’un attrait renouvelé pour l’authenticité des savoir-faire traditionnels", souligne Jean Collin, qui préside cette galaxie de PME et dont la famille cultive le filon du tourisme industriel. En effet, si la Conserverie Courtin (25 salariés et 3 M€ de CA) truste des milliers de visiteurs qui se pressent chaque année pour venir observer derrière de larges baies vitrées les opérations de préparation, de cuisson et d’emboîtage des soupes de poisson, confits de Saint-Jacques, tartinables et autres spécialités de la maison, elle a su aussi élargir son champ d’action aux biscuits avec Les Biscuiteries Réunies.

La société a été constituée à Quimper en 2014. Elle agrège plusieurs usines de fabrication de biscuits au beurre. Fleuron de cet ensemble qui se déploie de Pont-Aven jusqu’à Plestin-les-Grèves, à la frontière du Finistère et des Côtes-d’Armor, la Biscuiterie de la Pointe du Raz représente un modèle du genre. Avec plus de 166 000 visiteurs au compteur, c’est tout bonnement l’entreprise la plus visitée de Bretagne. Créée en 1936 et implantée à Plogoff, elle a ouvert ses portes au public en 2018 sur le modèle de Courtin. Cultivant ainsi la notoriété de ses produits en même temps que leur ancrage au patrimoine culinaire breton, la famille Collin continue de renforcer discrètement son empire en accentuant notablement la vente en ligne en même temps que ses débouchés à l’export, en particulier vers l’Amérique du Nord et l’Asie.

Une histoire de goûts

Gastronomie, agroalimentaire et ancienneté des entreprises sont en effet des catalyseurs de visites. Et à ce jeu-là, la Bretagne continue de se distinguer. "Le secteur agroalimentaire domine à 56 % les visites d’entreprise en Bretagne quand ce chiffre est de 36 % au niveau national", souligne Anne Aubineau. Rien d’étonnant donc que le territoire soit maillé d’offres d’acteurs du secteur. Ainsi, Maison Brieuc dans les Côtes-d'Armor (4,4 M€ de CA en 2023, 45 ETP) pratique le tourisme de savoir-faire depuis 2014. Le biscuitier et caramelier (une appellation "maison") a même configuré le bâtiment qu’il a fait construire à Yffiniac pour pouvoir accueillir du public. Avec notamment un couloir de visite qui permet d’observer les différentes étapes de la fabrication, de l’arrivée des matières premières jusqu’à l’expédition des produits finis.

Dans le Morbihan, à Quiberon, La Belle Iloise (entre 400 et 600 salariés selon les pics d’activité et 63 M€ de chiffre d’affaires) accueille des visiteurs, depuis 1994, au sein de son site de production ainsi qu’au sein d’un magasin d’usine. "Nous avons accueilli 28 000 visiteurs en 2023. Ouvrir nos portes au public, c’est faire connaître notre savoir-faire et faire rayonner notre image de marque", confie Caroline Hilliet-Le Branchu, PDG de la société.

Si à l’image de La Belle-Iloise, ces industriels souscrivent à ce concept, ils entendent aussi le faire évoluer. "Nous avons investi pour concevoir des scénographies, des films, et depuis 1994, nous avons procédé à des mises à jour, réhabilité certains éléments de la visite. Nous avons un enjeu dans les prochaines années à faire évoluer cet espace visite pour qu’il reste toujours d’actualité et qu’il s’ajuste aux évolutions de l’entreprise et notamment de l’usine", ajoute Caroline Hilliet-Le Branchu.

L’agroalimentaire sait se réinventer

Nul doute non plus que le secteur agroalimentaire demeurera porteur. Preuve en est, l’investissement réalisé par Grain de Sail (75 salariés, 12 M€ de CA) à Morlaix (Finistère). Quand, à l’automne 2021, le chocolatier inaugurait sa nouvelle chocolaterie de 2 500 m², pensée pour augmenter ses volumes, il a aussi intégré la composante de l’ouverture au grand public avec une galerie dédiée. "Comme le vin, le chocolat est un des rares produits qui offre une expérience gourmande, rend compte Stefan Gallard, le directeur marketing de l'entreprise. Chez Grain de Sail, nous sommes fiers de ce que l’on fait et on voulait le partager avec le public. Très humblement, nous avons mis en place un parcours autonome autoguidé qui mélange les supports et les différents sens. On expose le projet Grain de Sail, on raconte l’origine du cacao et la fabrication plus technique du chocolat. C’est ludique et pédagogique."

Le parcours de visite se déroule dans un espace de 250 m² et donne notamment à voir "les machines et les salariés qui confectionnent nos produits", expose le dirigeant. Un atelier de création de tablettes de chocolat personnalisées a également été mis en place par l’entreprise finistérienne. Le succès est au rendez-vous. Grain de Sail a attiré 15 000 visiteurs en 2022, 20 000 en 2023 et prévoit d’entrer sur un rythme de croisière "de 20 à 25 000 personnes en 2024".

Une attente "discrète" de retombées commerciales

Si elles ouvrent leurs portes, les entreprises bretonnes comme les entreprises au sens large en attendent des retombées. Les entrées payantes vont permettre aux entreprises de générer du chiffre d'affaires mais ce n'est pas forcément le modèle économique retenu. "Le tarif moyen est de 6,20 euros l'entrée en moyenne contre 9 euros en France. Mais surtout la visite d’entreprise est souvent gratuite en Bretagne. Les entreprises bretonnes sont très nombreuses à être attachées à ce critère de gratuité afin d’être accessible à un plus grand nombre", commente la représentante d’Entreprise et Découverte dans l’Ouest.

Maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur

Si les visites sont peu rémunératrices, qu’en est-il des achats post-visites ? Dans l’observatoire qu’établit chaque année Entreprise et Découverte, "l’enjeu commercial est une priorité pour 68 % des entreprises. Les petites et moyennes entreprises veulent maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur et accroître leurs marges." Interrogés, plusieurs acteurs restent discrets sur le sujet et indiquent préférer capitaliser sur "autre chose". Exemple chez Grain de Sail. "Ce n’est pas générateur de chiffre d’affaires (le ticket d’entrée est facturé 2,50 euros, NDLR). C’est plus l’image de marque et l’adhésion au projet Grain de Sail que l’on recherche", exprime Stefan Gallard. Même observation pour Maison Brieuc où Franck Meuriot, le dirigeant, glisse "que cela ramène un surcroît de chiffre d’affaires qu’on ne peut quantifier."

Image de marque et recrutements

Un autre enjeu pousse les dirigeants à ouvrir leurs portes. Toujours selon l’Observatoire lié à la visite d’entreprise, 57 % des entreprises y voient un levier de communication pour créer ou transformer leur image, rassurer ou fidéliser des consommateurs mais aussi "faire des visiteurs des ambassadeurs du savoir-faire breton. La visite d’entreprise est la démonstration du fabriqué en France, en Bretagne et le moyen de démontrer ses engagements sociaux et environnementaux". C’est notamment le cas de l’usine marémotrice de la Rance (Ille-et-Vilaine), exploitée par EDF. Ce site industriel unique en Europe fabrique 10 % de l’énergie électrique produite en Bretagne grâce à la force des marées. De quoi alimenter 225 000 foyers, soit l’équivalent d’une ville comme Rennes.

En ouvrant leurs portes, les entreprises bretonnes entendent saisir un autre levier : accroître l’attractivité de leurs métiers. "28 % des sociétés que nous suivons entendent ainsi faire découvrir leurs métiers in situ. C’est un chiffre en constante augmentation. Toutes les entreprises ont besoin de recruter. Utiliser les visites d’entreprise est une très bonne idée mais il faut la penser en tant que telle, elle est différente de la visite touristique", avertit Anne Aubineau d’Entreprise et Découverte.

Des freins à l’ouverture

Si le nombre d’entreprises qui ouvrent ou s’apprêtent à ouvrir leurs portes est croissant, certains freins demeurent et toutes ne sont pas prêtes à le faire. Elles s’en expliquent à l’image du groupe rennais Galapagos (530 salariés et 106 M€ de CA), connu pour ses Gavottes, ses gâteaux Traou Mad… "Nous n’ouvrons pas nos usines pour plusieurs raisons. D’abord, nous avons quelques secrets de fabrication, et cela implique beaucoup de mesures en termes d’hygiène et d’organisation du travail. Ponctuellement, nous ouvrons la visite aux familles de nos collaborateurs, mais sur un samedi où la production est réduite. Le seul site que nous ouvrons au public est celui des biscuits Fossier à Reims, que nous avons repris en 2019. Nous le faisons parce que la construction de l’usine avait été pensée dès le départ pour les visites, avec un couloir dédié. Nous y avons accueilli 10 000 visiteurs en 2023", explique Aurélie Tacquard, PDG de Galapagos Gourmet.

Conseil auprès d’entreprises locales, Anne Aubineau, la déléguée Ouest, rappelle qu’il n’y a pas d’interdictions en soi à faire visiter des zones de production à partir du moment où toutes les règles de sécurité et d’hygiène sont strictement respectées. Ainsi, la conserverie de poissons Kerbriant, à Douarnenez (Finistère), opte-t-elle pour une immersion au cœur de la production "donnant ainsi une autre teneur à sa visite."

Un spectre d’entreprises qui s’élargit

Le tourisme d’entreprise séduit les visiteurs mais aussi des entreprises d'autres secteurs d'activités notamment dans l'industrie, à l'image de Stellantis. Depuis 2023, le constructeur automobile rennais ouvre les portes de son usine de La Janais, à Chartres-de-Bretagne, afin de faire découvrir la fabrication de plusieurs modèles de voitures. "Comme Renault, Bonduelle et bien d'autres, les grandes entreprises ont une appétence pour cela. L’impact sur le public est parfois plus fort qu’une campagne télévisée pour certaines marques", justifie Anne Aubineau.

Dans le même temps et dans le cadre de la mission confiée à l’association Entreprise et Découverte, de nouveaux acteurs régionaux et d’autres secteurs sont accompagnés pour participer aux visites d’entreprise. "Le nautisme au sens large, les cosmétiques, les diverses utilisations des algues sont autant de domaines à faire connaître demain."

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