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Le Grand Est ne forme pas assez de jeunes aux métiers du numérique
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Le Grand Est ne forme pas assez de jeunes aux métiers du numérique

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Le Grand Est peine à former des effectifs suffisants et qualifiés dans les métiers du numérique pour faire face aux besoins des entreprises, observent France Travail et le syndicat Numeum. En cause, la rapidité d’évolution des technologies qui rend certaines formations insuffisantes pour répondre aux besoins, ou encore la concurrence des pays voisins, qui captent une partie de la main-d’œuvre.

Michaël Petit, délégué régional Grand Est de Numeum, et Cyprien Fischer, adjoint au directeur des opérations chez France Travail — Photo : Pascale Schaeffer

Les métiers du numérique restent en tension dans le Grand Est, en raison notamment d’une formation toujours insuffisante, alertent de concert France Travail et le syndicat Numeum. En 2022, France Travail a réceptionné plus de 28 000 offres d’emplois liées aux métiers du numérique dans une acception large, de la programmation à la réparation informatique, tous secteurs d’activité et tous types de contrats confondus dans le Grand Est, selon Cyprien Fischer, adjoint au directeur des opérations de France Travail. "Ce sont des chiffres à prendre avec des pincettes sachant que les besoins en recrutement dans le secteur du logiciel et des services numériques ne passent pas par les voies traditionnelles de diffusion. Ils ne reflètent donc que la partie émergée de l’iceberg", estime Cyprien Fischer.

3 000 offres d’emploi sur les métiers du numérique pur

Dans le même temps, 3 000 offres d’emploi sur les métiers du numérique pur (développeurs, éditeurs…) ont été affichées l’an passé dans la région par les entreprises du numérique d’après les chiffres compilés par Michaël Petit, le délégué régional du syndicat des entreprises du numérique, Numeum Grand Est (250 adhérents).

Pour Michaël Petit, les métiers les plus recherchés sont ceux de développeurs "sur la partie développement mobile et d’applications, de moins en moins sur le web". "On a également un besoin très fort de scrum masters (chefs de projets)", ajoute-t-il. À court terme, d’autres besoins vont devoir être pourvus : "On parle actuellement beaucoup de la cybersécurité mais en termes d’emploi, il y a un temps de retard dans la région, comme d’ailleurs en ce qui concerne le cloud. Mais ça va venir. Les IA vont également créer de nouvelles demandes, de nouveaux métiers", complète-t-il.

"Les diplômés sont parfois déjà en inadéquation avec les besoins du marché quand ils sortent de leur cursus"

Face à la demande, la formation initiale délivre régionalement chaque année 6 400 jeunes sur le marché. Et 1 500 candidats sont issus de la formation professionnelle continue. Pour Cyprien Fischer, les grandes masses ne collent pas. "Chez France Travail, nous suivons de près le taux de retour à l’emploi. Il est de 60 % tous secteurs confondus et de 50 % dans le numérique à cause, principalement du décalage entre la formation et les besoins du marché", pose Cyprien Fischer. Pour Michaël Petit, "la formation initiale ne suit pas. Les IA et la rapidité d’évolution des technologies font que les diplômés sont parfois déjà en inadéquation avec les besoins du marché quand ils sortent de leur cursus".

20 %

Mais ce n’est pas la seule explication aux difficultés de recrutement rencontrées par les employeurs. Le phénomène de captation par les marchés limitrophes suisse, allemand ou luxembourgeois durcit la difficulté. "On a une spécificité régionale qui n’est pas à notre avantage. Nous sommes également proches de Paris, de plus en plus d’entreprises viennent se servir chez nous grâce au travail à distance en proposant des salaires quasi parisiens. On voit même des entreprises américaines proposer des salaires avec lesquels on ne peut pas lutter. Au final, ce sont plus de 20 % des futurs employés du numérique qui échappent aujourd’hui aux entreprises du Grand Est. Et en général, ce ne sont pas les plus mauvais qui partent, le phénomène amplifie la pénurie de bons profils dans la région", estime Michaël Petit.

Une surenchère sur les bac + 5

Les tensions sont particulièrement flagrantes sur le recrutement des ingénieurs. "Les entreprises de services du numérique mais aussi les banques, les industriels, tous veulent des bacs + 5 avec cinq ans d’ancienneté, or nous n’avons plus ce genre de profil sur le territoire", déplore Michaël Petit, "même les licences pros ne suffisent plus". Cyprien Fischer renchérit : "Les bac + 3 à bac + 5 représentent 35 % des jeunes diplômés, on est loin du compte".

Mais tous les niveaux de recrutement sont en difficulté, pas forcément pour les mêmes raisons. Mickaël Petit dresse un constat alarmant. "On a dit aux jeunes que les métiers du numérique recrutaient à tour de bras mais certaines écoles privées ont fait n’importe quoi. Au final, les niveaux de qualification ne sont pas toujours au rendez-vous, même à bac + 2, indique-t-il. Je l’ai expérimenté personnellement en tant que jury. Ce qui n’est pas non plus acceptable, c’est que certains de ces jeunes poursuivent vers des carrières d’ingénieurs, poussés par les écoles". Autre sujet d’inquiétude : la tendance démographique, inverse à celle de la demande, n’est pas de nature à rassurer les professionnels qui s’attendent à une aggravation de la pénurie de candidats.

Les nouveaux entrants de la formation attendus avec impatience

Les professionnels tentent de s’organiser depuis plusieurs années. Le dispositif Numeric Emploi, coordonné par France Travail et Numeum depuis 2016, a permis à 326 demandeurs d’emploi de se former en 2023 pour un retour à l’emploi de 73 %. C’est peu. "On voit bien les différences d’échelle entre un besoin qui se chiffre en milliers de postes et les 300 formations que peut proposer Numeric Emploi. Tout l’enjeu pour la profession se joue sur la formation initiale car ces métiers se prêtent peu à la reconversion", estime Cyprien Fischer.

L’implantation de nouveaux cycles de formation sur le territoire, à l’image d’Ynov Campus en septembre, est attendue. "Les premiers diplômés d’Ynov Campus sortiront dans trois ans", calcule Michaël Petit, et il l’assure : "On va suivre de près les premiers diplômés pour voir ce que ça donne".

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