"Il faut que la réglementation continue à favoriser l’économie circulaire"
Interview # Production et distribution d'énergie # Investissement industriel

Luc Petit directeur‬‭ régional ‬‭Grand‬‭ Est ‭Veolia‬‭ "recyclage‬‭ et ‬‭valorisation ‬‭des ‬‭déchets" "Il faut que la réglementation continue à favoriser l’économie circulaire"

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Depuis le centre de tri‬ ‭et‬ ‭de‬ ‭valorisation‬ ‭des‬ ‭déchets‬ ‭de‬ ‭Ludres, le groupe Veolia s’apprête à livrer en combustibles solides de récupération la nouvelle chaufferie qui doit alimenter en énergie la soudière de Solvay à Dombasle. Un projet qui contribue à renforcer le groupe dans sa stratégie visant à chercher de la valeur dans les déchets, comme l’explique Luc Petit, directeur‬‭ régional ‬‭Grand‬‭ Est ‭Veolia‬‭ "recyclage‬‭ et ‬‭valorisation ‬‭des ‬‭déchets.

Luc Petit est le directeur‬‭ régional ‬‭Grand‬‭ Est ‭Veolia‬‭ "recyclage‬‭ et ‬‭valorisation ‬‭des ‬‭déchets" — Photo : Jean-François Michel

Le groupe Veolia (CA : 45 Md€ ; 218 000 salariés) travaille à la mise en service d’une chaufferie, baptisée Dombasle Énergie, fonctionnant aux combustibles solides de récupération pour le compte de Solvay, à Dombasle. Où en êtes-vous de ce projet à 225 millions d’euros ?

Aujourd’hui, nous avons sécurisé les approvisionnements qui vont nous permettre d’amener 360 000 tonnes de CSR sur le site de Dombasle Énergie. Nous avons terminé les travaux sur le site Ludres, nous avons déjà les approvisionnements et nous préparons déjà le CSR. Donc pour l’amont, nous sommes prêts. Maintenant, il faut terminer les travaux sur le site de Dombasle Énergie.

Le projet est en retard : comment cela s’explique-t-il ?

C’est sur la partie traitement que le projet a pris du retard. Nous avons été victimes de défaillances de fournisseurs. Aujourd’hui, dans le monde industriel, suite à la crise Covid et à la guerre en Ukraine, de nombreux fournisseurs ont eu des problèmes financiers et certains sont allés jusqu’à la liquidation judiciaire. Sur Dombasle Énergie, nous avons été contraints de remplacer un fournisseur de système de traitement des fumées. Nous n’avons pas encore la date exacte, mais on peut dire que courant 2025, Dombasle Énergie sera en service : nous sommes actuellement en train de revoir les plannings pour affiner la date.

Vous avez injecté 3 millions d’euros sur le site de Ludres pour mettre en service, en février 2024, une nouvelle ligne de préparation de CSR. Combien de tonnes allez-vous sortir du site de Ludres ?

Nous avons investi dans un nouveau broyeur ainsi qu’un déferrailleur. Avec ces équipements, nous serons capables de produire 55 000 tonnes de CSR depuis le site de Ludres. Pour arriver à alimenter Dombasle Énergie, il faudra aller chercher des CSR sur huit sites, dans le quart nord-est de la France. Un site d’approvisionnement sera basé en région île de France, un autre à Orléans, un autre entre Lyon et Valence et les autres sites seront dans la région administrative du Grand Est. L’autorisation qui nous a été accordée nous permet d’aller chercher de la matière à l’échelle de toute la France.

Depuis le site de Ludres, 55 000 tonnes de CSR seront préparées pour alimenter Dombasle Énergie — Photo : Jean-François Michel

Au niveau de l’approvisionnement en déchets, tout est-il sécurisé ?

Pour la majeure partie. Après, il s’agit souvent de contrats assez courts, donc il faut les renouveler souvent. Les contrats entreprises sont des contrats d’un an ou deux. Il y a un travail commercial en continu pour maintenir ces gisements-là. Au niveau des collectivités, ce sont des contrats de 3 à 5 ans, voire 7 ans. Donc aujourd’hui, nous avons sécurisé les tonnages mais il faudra continuer à travailler, notamment sur l’évolution de certains contrats. Nous avons, par exemple, des contrats d’enfouissement qui peuvent évoluer vers de la valorisation énergétique, avec du CSR. Donc, nous pouvons améliorer les contrats, avec une offre plus qualitative.

Un projet comme Dombasle Énergie incite donc tous les acteurs de la filière à mieux valoriser les déchets ?

Quand vous avez fait, en amont, tout ce qui est réemploi, recyclage matière ou compostage, pour les déchets ultimes, la solution CSR permet de faire une valorisation énergétique là où avant, parfois, le déchet partait en enfouissement. C’est vraiment sur les déchets qu’on ne sait pas recycler mécaniquement, que nous avons désormais une solution de valorisation énergétique qui est meilleure que l’enfouissement.

"Préparer des CSR est une méthode de traitement qui vient compléter le traitement sur des flux qui ne sont pas recyclables."

Le fait de trouver des milliers de tonnes de CSR ne se fait-il pas au détriment des autres flux ?

Non. Dans les déchets, nous nous appuyons sur ce que nous appelons la pyramide des déchets. Cela correspond à la hiérarchie des modes de traitement, qui va du mieux au moins bien. Donc le mieux, c’est de ne pas générer de déchets ou de faire du réemploi. Je pense aux entreprises qui ont des flux logistiques avec des emballages qui sont réutilisés pour ne pas jeter des emballages. Quand il n’est pas possible de faire ça, on fait du recyclage matière, par exemple, sur le site de Ludres, sur le papier, le carton, le plastique. Ensuite, il est possible de faire du compostage. Et après, de la valorisation énergétique. Là, on vient faire de l’énergie avec les déchets. En dernier recours, nous faisons de l’enfouissement. Mais nous ne faisons jamais d’enfouissement ou de valorisation énergétique quand nous n’avons pas essayé avant de faire du recyclage matière ou du compostage. Donc la production de CSR ne vient jamais remplacer le recyclage : c’est une méthode de traitement qui vient compléter le traitement sur des flux qui ne sont pas recyclables.

Sur le site de Ludres, vous produisiez auparavant un CSR plus fin, pour les cimentiers. Pourquoi avoir changé de process ?

Le CSR pour Dombasle Énergie est un peu plus simple à générer, parce que le critère d’acceptation de la chaufferie de Dombasle permet de prendre un spectre plus large, par rapport aux cimenteries qui fonctionnaient plutôt au gaz à l’origine. Les tuyères sont donc toutes fines et cela nous laissait moins de latitude sur la granulométrie. Quand nous développons un projet CSR, nous partons d’un besoin énergétique. Dans l’exemple qui nous occupe, la soudière de Dombasle a des besoins énergétiques importants, de l’ordre d’un térawattheure thermique, besoin aujourd’hui satisfait par des chaufferies charbon. Nous sommes remontés sur une chaufferie industrielle CSR, et après, sur des centres d’approvisionnement qui vont permettre, in fine, de garantir à Solvay la production de vapeur et d’électricité.

Avec au passage, une réduction de moitié des émissions de CO2…

C’est de cet ordre. Il y a une moitié des émissions qui est biogénique, une autre moitié qui est fossile. Et effectivement, nous réduisons de moitié les émissions grâce au CSR.

120 000 tonnes de déchets sont traitées sur le site Veolia de Ludres — Photo : Jean-François Michel

Où en êtes-vous du projet de traitement des biodéchets de la Métropole du Grand Nancy, qui vise à construire un méthaniseur ?

Sur ce type de projet, il y a parfois des contraintes réglementaires qui font que les dossiers sont plus longs à sortir que ce que nous avions espéré. Par rapport au plan d’épandage, par rapport aux autorisations préfectorales et ainsi de suite. C’est un travail normal mais qui peut être parfois assez long. Tout cela est désormais fait. Le groupe CVE, avec lequel nous travaillons, est en train de consulter les entreprises pour lancer la construction. La mise en service devrait se faire fin 2025. Ce type de projet est toujours très long, parce qu’il y a une phase de définition du besoin, puis une phase d’enquête publique, avec les autorisations administratives. Ensuite, il peut y avoir des sujets de PLU, il peut y avoir des sujets de biodiversité, donc il y a beaucoup de sujets amont et ensuite, arrive la phase de consultation des entreprises, d’approvisionnement du matériel, de travaux, de mise en service industriel, Ces projets prennent toujours entre 3 et 5 ans.

Quel sera le rôle de Veolia dans ce projet ?

Nous sommes propriétaires du foncier, et nous allons apporter les déchets. Nous nous sommes associés à un partenaire, le groupe CVE, qui va investir, construire et opérer l’installation. Concrètement, nous allons louer le terrain et amener les tonnes de déchets et notre partenaire va exploiter.

"Le seul équilibre économique ou la bonne volonté ne suffisent pas à faire bouger les gens."

Où en êtes-vous de la réflexion autour d’une plateforme dédiée au tri du bois ?

C’est un gros projet sur lequel nous sommes en partenariat avec le papetier Norske Skog. Cet industriel, installé à Golbey dans les Vosges, va démarrer une chaufferie fonctionnant à base de bois et cette plateforme doit servir à alimenter cette chaufferie. À chaque fois, nous travaillons à l’échelle de l’écosystème lorrain. Sur la Métropole du Grand Nancy, il y a beaucoup d’émetteurs de bois, en déchetteries, ou chez les industriels. Nous allons le collecter, le broyer, le préparer, pour le sortir du statut de déchet et l’amener vers des chaufferies.

Aujourd’hui, le déchet est-il déjà devenu une réelle matière secondaire ?

La raison d’être du groupe et ce que nous essayons de promouvoir, c’est de préserver les ressources. Et donc l’enjeu, pour nous, est d’aller chercher de la valeur dans le déchet. Par exemple, nous allons de plus en plus loin quand nous avons du mâchefer en incinération pour récupérer des métaux ferreux et non-ferreux. Il devient possible de trouver des métaux rares, des métaux précieux. Notre gamme devient de plus en plus vaste. Nos collègues de Sarpi sont par exemple en train de démarrer une ligne, pas loin de Metz, pour recycler les métaux présents dans les batteries. Tout cela est nécessaire parce que la Terre n’a pas une taille infinie. On ne pourra pas creuser tout le temps pour avoir des minerais, pour avoir des ressources. Il faut arriver à être circulaire et à récupérer ce qui est présent pour le réinjecter dans la production.

Vous avancez tout doucement sur le chemin imaginé par le législateur, avec la loi AGEC, la loi antigaspillage pour une économie circulaire ?

Jamais assez vite et jamais assez loin, mais nous y allons. Et il faut que la réglementation continue de favoriser ce mouvement. Car le seul équilibre économique ou la bonne volonté ne suffisent pas à faire bouger les gens. Nous avons besoin d’un peu de réglementations et d’un peu d’obligations. Aujourd’hui, le tri à la source est obligatoire, et cela force les gens à le faire. Sinon, malheureusement, certains particuliers ou entreprises continuent d’avoir autre chose à faire et mélangent tout. Si on veut préserver la planète et préserver les ressources, il faut un peu de réglementation incitative.

Meurthe-et-Moselle Nancy # Production et distribution d'énergie # Gestion des déchets # Investissement industriel # Transition énergétique