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ExxonMobil : une onde de choc pour l'économie normande
Enquête Seine-Maritime # Chimie # Conjoncture

ExxonMobil : une onde de choc pour l'économie normande

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Après l'annonce choc, le 11 avril, par Exxon Mobil Chemical France de la fermeture de ses activités de chimie sur sa plateforme pétrochimique de Port-Jérôme-sur-Seine, les acteurs politiques et économiques cherchent des solutions pour faire rebondir le territoire. Plusieurs dizaines d'entreprises sous-traitantes et des milliers d'emplois sont impactés.

Le géant pétrolier américain a décidé d'arrêter ses activités chimiques dès cette année sur le site normand — Photo : Caux Seine Agglo

Un coup de tonnerre ! C’est l’effet de l’annonce, le 11 avril au matin, de l‘arrêt des activités chimie sur le site de la plateforme ExxonMobil Chemical France de Port-Jérôme-sur-Seine, près du Havre, qui compte l’une des plus grandes raffineries d’Europe avec une production jusqu’à 12 millions de tonnes de pétrole brut par an. Une décision soudaine du groupe pétrolier qualifiée de "brutale et inacceptable", par la maire de Lillebonne, Christine Déchamps, qui souligne l’impact du retrait d’ExxonMobil sur le territoire : "Nous avons tous un proche, un parent, un ami qui travaille ou a travaillé un jour chez Exxon ou chez l’un de ses sous-traitants. C’est tout un écosystème qui va être affecté, et les répercussions sur le commerce, les clubs, les associations et les collectivités locales seront considérables". "Nous avons été prévenus un quart d’heure avant les salariés", se désole Virginie Carolo-Lutrot, présidente de la communauté d’agglomération Caux Seine Agglo, maire de Port-Jérôme-sur-Seine

Près de 700 emplois supprimés chez ExxonMobil

Le géant pétrolier américain a décidé d’arrêter ses activités chimiques (production d'éthylène, propylène, caoutchoucs synthétiques, résines de pétrole), dès 2024, sur le site normand, avec arrêt du vapocraqueur et de ses unités aval de polyéthylène, de polypropylène, d’adhésifs et des facilités logistiques. Une décision qui entraîne la suppression de 30 postes au siège social de Nanterre et de 647 emplois sur le site de Port-Jérôme qui en compte un peu plus de 2 000.

Pour expliquer sa décision, l’entreprise américaine évoque des "pertes de plus de 500 millions d’euros depuis 2018". Les installations normandes seraient insuffisamment performantes pour la direction d’ExxonMobil : "Ces unités ne sont pas économiquement viables. En effet, la configuration du vapocraqueur, sa taille comparée aux grandes unités nouvellement construites, les coûts opératoires et énergétiques plus élevés en Europe le rendent non compétitif". L’annonce ne concerne que les activités pétrochimiques du site. La raffinerie Esso (filiale d’ExxonMobil) de Port-Jérôme n’est pas concernée par le plan social.

Des explications qui n’ont pas convaincu Roland Lescure, ministre délégué en charge de l’industrie : "On suit ça de très près. J’ai eu l’occasion d’expliquer à Exxon que j’étais clairement mécontent de la manière dont tout ça avait été annoncé et que je regrettais cette décision."

Des dizaines de sous-traitants impactés

Des dizaines d’entreprises sous-traitantes locales travaillent pour ExxonMobil, et notamment pour la partie des activités chimie. L’arrêt de cette activité constitue une perte directe de chiffre d’affaires pour elles. Selon les études menées en concertation avec l’agence Le Havre Estuaire de la Seine (AURH), ExxonMobil Chemical compte près de 75 sous-traitants sous contrat (26 à Port-Jérôme et 22 à Lillebonne). "On a identifié 12 entreprises très dépendantes, et 25 dépendantes, du Havre, de Rouen ou d’ailleurs", estime Virginie Carolo Lutrot, président de Caux Seine Agglo et maire de Port-Jérôme-sur-Seine. Et pour les entreprises "très dépendantes", des prestataires extérieurs à la plateforme pétrochimique, et dont l’unique contrat dépend d’ExxonMobil, 970 emplois seraient concernés.

Entre 2 000 et 5 000 emplois impactés

Combien d'emplois pourraient être concernés ? Pour la maire de Port-Jérôme-sur-Seine Virginie Carolo-Lutrot, 2 000 emplois pourraient être impactés. L'intersyndicale évalue, elle, autour de 5 000 le nombre d'emplois touchés par le retrait d'ExxonMobil de ses activités chimie. "Suite à cette annonce, on a de grosses inquiétudes sur la pérennité de la raffinerie car les deux parties du site sont très imbriquées", explique un représentant de l'intersyndicale.

"Aujourd'hui nous n'avons pas de solution miracle pour compenser cette perte d'activité"

Parmi les entreprises impactées, le bureau d’études et d’ingénierie Projenor (40 salariés). Implantée à La Frenaye, la PME a été créée en 1979 dans le but de travailler pour ExxonMobil. "Exxon a toujours été notre plus gros client, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Il représente près de 30 % de notre chiffre d’affaires, même si nous avons su nous diversifier", explique Bastien Certain, cogérant de l’entreprise aux côtés de son père.

En effet, si l’entreprise compte d’autres clients dans les domaines de l’automobile, de la raffinerie et de la pétrochimie, dont Lubrizol, Yara ou encore Total sur la zone de Port-Jérôme et Gonfreville-l’Orcher, l’annonce d’ExxonMobil impacte directement l’activité de la PME : "Comme beaucoup de ceux qui travaillent sur la plateforme, on a été très surpris. On pensait qu’il y avait encore de belles années et que la transition ne serait pas aussi brutale. Avec un délai à trois ou quatre ans, on aurait le temps de s’organiser pour compenser la perte d‘activité, mais pas en six mois (délais annoncés par Exxon, NDLR)", se désole le jeune dirigeant qui veut rester optimiste : "L’activité ne s’arrête pas totalement, car il y a beaucoup de travail avant d’arrêter des unités, il y a une inertie aussi qui va amener un besoin d’assistance technique. Et puis, la partie raffinerie va continuer à tourner".

"L'annonce d'Exxon a été brutale. Il va falloir former et replacer les personnels"

Cependant, les effets de l’annonce du groupe américain sont immédiats pour l’entreprise, avec l’arrêt des projets planifiés : "Aujourd’hui, nous n’avons pas de solution miracle pour compenser cette perte d’activité, il faut trouver d’autres missions auprès d’autres clients". Et le chef d’entreprise de s’interroger sur sa capacité à rapidement rebondir : "Face aux grands bureaux d’études, nous ne sommes qu’une PME familiale et les contrats mettent du temps à se déclencher".

La décision du groupe américain a aussi des répercussions pour l’agence d’intérim SIM de Gravenchon. Fondateur et dirigeant de ce réseau d’agences, Yves Lefevbre estime qu’un tiers de son activité va être impacté. "L’annonce d’Exxon a été brutale. Il va falloir former et replacer les personnels", dit-il sans verser dans le catastrophisme : "Il y a des besoins en industrie sur la zone de Port-Jérôme et Gravenchon, ainsi que sur Le Havre. Et j’ai de bons espoirs avec les grands industriels de la zone comme Total, Chevron, Lubrizol ou encore Siemens."

Des rencontres business pour aider les entreprises

Face aux difficultés à venir des entreprises directement impactées, les acteurs économiques locaux s’organisent pour proposer des solutions. Ainsi, la CCI Seine Estuaire organise fin juin une première rencontre business pour mettre en contact les acheteurs du territoire, dont Total, avec les sous-traitants d’ExxonMobil qui intervenaient sur le vapocraqueur.

Et début juillet, une autre rencontre est programmée autour des besoins du secteur du nucléaire dans la région, notamment dans le cadre du Grand Carénage, programme industriel de rénovation et de modernisation des centrales nucléaires existantes.

"Et nous sommes candidats pour porter l’action de revitalisation en partenariat avec Caux Seine Agglo", annonce Yves Lefebvre, président de la CCI Seine Estuaire. "Nous faisons le maximum pour tenter de trouver des solutions dans tous les domaines d’activités possibles ou nos entreprises peuvent rebondir, comme le nucléaire, l’aéronautique, ou encore l’éolien", assure l’élu : "On va aussi travailler avec le territoire de manière à retrouver des activités. C’est un territoire en développement dans lequel l’industrie est en pleine croissance et donc on a une bonne confiance sur la capacité de ce territoire à se redynamiser. Le vapocraqueur est très proche de la raffinerie qui elle est préservée, et donc on n’est pas sûr qu’on pourra réutiliser ce terrain, mais il y a d’autres terrains pour lesquels on a de l’espoir. Il y a du potentiel, je suis confiant".

Et de potentiel, le territoire n’en manque pas. Le jour même où ExxonMobil annonçait la fermeture de ses activités chimiques, le groupe belge Futerro dévoilait son projet d'usine de production de bioplastiques à Port-Jérôme. À la clé, un investissement de plus de 500 millions d'euros et la création de plusieurs centaines d'emplois. Comme si le vieux monde des énergies fossiles commençait à céder la place à des usines de nouvelle génération.

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